mardi 10 mars 2015

Une veillée avec « des enquêtes pas comme les autres ».

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Ce n’était pas au 25 rue de la Grange-aux-Loups, comme dans la chanson de Barbara, mais rue des Cailles, au fond d’une impasse boisée. Déjà de nombreuses voitures étaient sagement rangées telles des pétales de fleurs sur la petite place circulaire qui clôt la voie d’accès. La nuit tombée, le ciel se constellait d’étoiles et l’air encore tiède de cette soirée de fin d’hiver était chargé de senteurs florales créant une atmosphère faussement printanière. À la porte nous fûmes accueillis par la truffe curieuse d’un beau Saint Bernard puis, accompagnés avec une vigilance amusée par deux des quatre chats de la maison, nous atteignîmes le salon où nous étions attendus.
La pièce est vaste, une cheminée où flambe un joyeux feu de bois réchauffe l’endroit. Deux canapés confortables et plusieurs chaises sont déjà occupés par les auditeurs. Sur la grande table des mugs et une assiette de gâteaux attirent la gourmandise, largement sollicitée par Anne qui organise la veillée. Le temps d’un café, ou d’une infusion, d’échanger quelques mots avec les uns ou les autres et voici que démarre la veillée.
Installée juste à côté de la cheminée qui rougeoie Christiane entame la lecture des extraits du roman qui ce soir est au centre des intérêts : À quoi rêvent les chats lorsque le printemps tarde ? La voix, posée, égrène les premières phrases dans un silence que ne troublent que les crépitements de l’âtre. Malgré la vive lumière, la douce chaleur qui irradie la pièce plonge chacun d’entre nous dans le récit qui se déroule. Ici la chaleur nous enveloppe, tandis que les personnages se meuvent dans une cité ducale recouverte par la neige de janvier. Un épais tapis qui nappe tout le décor, prolongeant la féérie de Noël, et réveillant nos songes d’enfants. Plus tard, le deuxième extrait balance la mort en plein milieu de notre groupe, et là ce n’est plus la neige douce et protectrice mais celle brûlante de glace, celant les pas des loups, que l’on craint soudain d’entendre hurler au-dehors. La mort rôde, invisible mais vigilante. Les extraits se suivent, décrivant des interrogatoires ou l’analyse d’une scène de crime.
À notre arrivée, les chats de la maison nous avaient fait l’honneur d’une visite rapide. Juste pour s’assurer que nous étions bien les invités et non de vils intrus. Puis ils sont allés vaquer à ces occupations mystérieuses et incompréhensibles pour les pauvres humains que nous sommes. Ils ont rejoint le lieu de leur méditation ou de leur guet. Qu’en savons nous, humains, de ce qui se passe dans leur crâne lorsque nous les voyons ainsi, allongés paresseusement, le regard perdu vers un horizon invisible à nos faibles yeux. Rêvent-ils ? Surveillent-ils des ennemis cachés au regard de quiconque ? Tressent-ils la trame de l’univers, ou celle de nos destinées ? Ils ont l’air si détachés de nos contingences. À cet instant ils semblent nourrir un parfait dédain pour cette activité de lecture qui nous occupe et nous laisse sans voix. Pourtant…
Voici que Christiane poursuit la lecture par le quatrième extrait. Une chambre d’hôtel, des policiers, un cadavre d’exposant félin… et là, dans un coin, plusieurs cages de transport où une maman observe hiératiquement ces humains, alors que ses chatons se blottissent contre elle. À cet instant, alors que le commissaire Ney se retrouve en tête à tête avec la maman Maine-Coon s’élève un miaulement impérieux qui se superpose à la voix de la lectrice. Derrière la porte un chat veut entendre ce passage et réclame qu’on lui ouvre. Nous autres humains trouvons cela comique, mais il entre majestueusement, nous tance de son regard altier et va s’installer au centre de la pièce pour écouter la fin de l’extrait. Ils sont comme ça les chats, plein d’à-propos et de condescendance avec leurs humains de compagnie.
La lecture finie, l’auteur se trouve assailli de questions. Certaines sont faciles et la réponse aisée, d’autres plus précises et la réponse n’est pas toujours aussi évidente qu’on pourrait le croire. Moment sympathique, convivial où parole et gourmandise font bon ménage.
Il est temps de poursuivre, voici qu’Anne prend place près du feu qui danse. Et sa voix dessine des flashes pleins de vie. Pensées qui voguent au gré des nuages, formes évanescentes qui se concrétisent. Crocodile mangeur d’homme au plein cœur de la Creuse, Marchand de Sable enterrant sa victime sous une plage nauséabonde, les petites vignettes prennent vie et créent le malaise de cette réalité qui soudain titille le fantastique.  Au milieu de cela, un inspecteur au seuil de la retraite et un capitaine de gendarmerie à la froide logique tentent, avec difficulté, de cerner l’identité d’un meurtrier récidiviste. Un lointain secret éclaire, mais si peu, la logique de cet enchaînement de meurtres. Un secret ou peut-être deux se logent au cœur de cette belle nouvelle écrite par Anne et intitulée : Un amour d’ange.
Après une phase d’échanges avec les auditeurs, notamment sur l’écriture mais aussi sur le rapport de certains d’entre eux avec les personnes en situation de handicap voici venue l’heure de se quitter. Lentement, comme à regret, nous prenons le chemin inverse vers nos voitures. Après la chaleur maternelle de cette pièce le froid extérieur nous rappelle que nous sommes toujours en hiver. Le ciel est dégagé et une superbe lune pleine surplombe les alentours, faisant pâlir les étoiles scintillantes. On se prend à quêter la couche de neige de la première lecture, et à craindre la vue d’une silhouette famélique se glissant d’ombre en ombre sur ses quatre pattes. L’abri de la voiture nous rassure. Alors, tandis que nous empruntons ces rues vides, que la chaleur envahit l’habitacle on savoure pleinement le bonheur d’avoir fait cette veillée.

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