Ce n’était pas au 25 rue de la
Grange-aux-Loups, comme dans la chanson de Barbara, mais rue des Cailles, au
fond d’une impasse boisée. Déjà de nombreuses voitures étaient sagement rangées
telles des pétales de fleurs sur la petite place circulaire qui clôt la voie
d’accès. La nuit tombée, le ciel se constellait d’étoiles et l’air encore tiède
de cette soirée de fin d’hiver était chargé de senteurs florales créant une
atmosphère faussement printanière. À la porte nous fûmes accueillis par la
truffe curieuse d’un beau Saint Bernard puis, accompagnés avec une vigilance
amusée par deux des quatre chats de la maison, nous atteignîmes le salon où
nous étions attendus.
La pièce est vaste, une cheminée
où flambe un joyeux feu de bois réchauffe l’endroit. Deux canapés confortables
et plusieurs chaises sont déjà occupés par les auditeurs. Sur la grande table
des mugs et une assiette de gâteaux attirent la gourmandise, largement
sollicitée par Anne qui organise la veillée. Le temps d’un café, ou d’une
infusion, d’échanger quelques mots avec les uns ou les autres et voici que
démarre la veillée.
Installée juste à côté de la
cheminée qui rougeoie Christiane entame la lecture des extraits du roman qui ce
soir est au centre des intérêts : À quoi rêvent les chats lorsque le
printemps tarde ? La voix, posée, égrène les premières phrases dans un silence
que ne troublent que les crépitements de l’âtre. Malgré la vive lumière, la
douce chaleur qui irradie la pièce plonge chacun d’entre nous dans le récit qui
se déroule. Ici la chaleur nous enveloppe, tandis que les personnages se
meuvent dans une cité ducale recouverte par la neige de janvier. Un épais tapis
qui nappe tout le décor, prolongeant la féérie de Noël, et réveillant nos
songes d’enfants. Plus tard, le deuxième extrait balance la mort en plein
milieu de notre groupe, et là ce n’est plus la neige douce et protectrice mais
celle brûlante de glace, celant les pas des loups, que l’on craint soudain
d’entendre hurler au-dehors. La mort rôde, invisible mais vigilante. Les
extraits se suivent, décrivant des interrogatoires ou l’analyse d’une scène de
crime.
À notre arrivée, les chats de la
maison nous avaient fait l’honneur d’une visite rapide. Juste pour s’assurer
que nous étions bien les invités et non de vils intrus. Puis ils sont allés
vaquer à ces occupations mystérieuses et incompréhensibles pour les pauvres
humains que nous sommes. Ils ont rejoint le lieu de leur méditation ou de leur
guet. Qu’en savons nous, humains, de ce qui se passe dans leur crâne lorsque
nous les voyons ainsi, allongés paresseusement, le regard perdu vers un horizon
invisible à nos faibles yeux. Rêvent-ils ? Surveillent-ils des ennemis
cachés au regard de quiconque ? Tressent-ils la trame de l’univers, ou celle
de nos destinées ? Ils ont l’air si détachés de nos contingences. À cet
instant ils semblent nourrir un parfait dédain pour cette activité de lecture
qui nous occupe et nous laisse sans voix. Pourtant…
Voici que Christiane poursuit la
lecture par le quatrième extrait. Une chambre d’hôtel, des policiers, un
cadavre d’exposant félin… et là, dans un coin, plusieurs cages de transport où
une maman observe hiératiquement ces humains, alors que ses chatons se
blottissent contre elle. À cet instant, alors que le commissaire Ney se
retrouve en tête à tête avec la maman Maine-Coon s’élève un miaulement
impérieux qui se superpose à la voix de la lectrice. Derrière la porte un chat
veut entendre ce passage et réclame qu’on lui ouvre. Nous autres humains
trouvons cela comique, mais il entre majestueusement, nous tance de son regard
altier et va s’installer au centre de la pièce pour écouter la fin de
l’extrait. Ils sont comme ça les chats, plein d’à-propos et de condescendance
avec leurs humains de compagnie.
La lecture finie, l’auteur se
trouve assailli de questions. Certaines sont faciles et la réponse aisée,
d’autres plus précises et la réponse n’est pas toujours aussi évidente qu’on
pourrait le croire. Moment sympathique, convivial où parole et gourmandise font
bon ménage.
Il est temps de poursuivre, voici
qu’Anne prend place près du feu qui danse. Et sa voix dessine des flashes
pleins de vie. Pensées qui voguent au gré des nuages, formes évanescentes qui
se concrétisent. Crocodile mangeur d’homme au plein cœur de la Creuse, Marchand
de Sable enterrant sa victime sous une plage nauséabonde, les petites vignettes
prennent vie et créent le malaise de cette réalité qui soudain titille le
fantastique. Au milieu de cela, un
inspecteur au seuil de la retraite et un capitaine de gendarmerie à la froide
logique tentent, avec difficulté, de cerner l’identité d’un meurtrier
récidiviste. Un lointain secret éclaire, mais si peu, la logique de cet
enchaînement de meurtres. Un secret ou peut-être deux se logent au cœur de
cette belle nouvelle écrite par Anne et intitulée : Un amour d’ange.
Après une phase d’échanges avec
les auditeurs, notamment sur l’écriture mais aussi sur le rapport de certains
d’entre eux avec les personnes en situation de handicap voici venue l’heure de
se quitter. Lentement, comme à regret, nous prenons le chemin inverse vers nos
voitures. Après la chaleur maternelle de cette pièce le froid extérieur nous
rappelle que nous sommes toujours en hiver. Le ciel est dégagé et une superbe
lune pleine surplombe les alentours, faisant pâlir les étoiles scintillantes.
On se prend à quêter la couche de neige de la première lecture, et à craindre
la vue d’une silhouette famélique se glissant d’ombre en ombre sur ses quatre
pattes. L’abri de la voiture nous rassure. Alors, tandis que nous empruntons
ces rues vides, que la chaleur envahit l’habitacle on savoure pleinement le
bonheur d’avoir fait cette veillée.
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