lundi 31 octobre 2016

Des cours d'Ens à la Cour de Madrid ou l'étonnant destin de la famille Rolland par François Constantin.



Dans cette biographie familiale qui couvre presqu'un siècle et demi (1833 à 1976) François Constantin nous livre le parcours exceptionnel d'un petit paysan aurois dont la descendance acquerra des titres de noblesse en Espagne. Exilé à Sarragosse auprès d'un familier Jean-Guillaume Rolland, qui a dû quitter sa terre certainement comme de nombreux autres enfants de ces hautes vallées pyrénéennes pour survivre, va très rapidement mettre sa vivacité d'esprit et son sens du commerce à l'épreuve. Vendeur de dentelle, il va développer son commerce à tel point que quelques années plus tard il deviendra banquier. Cette mutation opérée à un moment critique de l'histoire espagnole va lui donner l'opportunité à la fois de montrer son intuition financière et de trouver des relais au sein de l'aristocratie du royaume qui l'amèneront à pénétrer par l'intermédiaire de ses enfants dans la haute société ibérique. À leur tour ses enfants cultiveront les qualités paternelles et deviendront de parfaits membres de l'intelligentsia espagnole.

Dans ce récit nourri d'archives et de témoignages, François Constantin en un style léger nous donne l'occasion de pénétrer l'intimité d'hommes et de femmes qui contre ce qui semblait un destin immuable ont su le provoquer, le bousculer pour en tirer le meilleur d'eux mêmes. Il nous montre qu'il n'y a pas de prédétermination sociale stricte, même si échapper au déterminisme social nécessite une dose très forte d'audace et disons le aussi de chance, au même titre que les Pyrénées en tant que massif frontière ne sont pas une barrière infranchissable mais un lien ou comme le dit si bien Henri Lefebvre* " (ils) séparent et relient la France à l'Espagne". 

Un livre instructif, rédigé en français et en castillan ce qui ne peut que ravir les amoureux des deux langues.

* H. Lefebvre, Pyrénées, Éd. Rencontre 1965. 


Des cours d'Ens à la Cour de Madrid ou l'étonnant destin de la famille Rolland de François Constantin publié aux éditions Livres en Bigorre. 

Chronique diffusée le samedi 29 octobre 2016, lors de l'émission  "Un jour, un livre un auteur" sur Radio Présence Lourdes.

lundi 17 octobre 2016

Conquérant des ondes de Sylvain Athiel aux éditions Privat.


 
Nous sommes en 1923/24, la radio en est à ses balbutiements. Depuis les premières émissions réalisées par le général Ferrié depuis la  Tour Eiffel en 1903 la radio est restée un outil militaire et ce n'est qu'en 1922 que Ferrié toujours débute les premières émissions civiles. À travers la France des amateurs aisés s'adonnent à la réception de ces ondes souvent capricieuses à cause de la distance. Deux de ces riches radio amateurs, le Dr Saint Béat et Léon Kierzkowski, sollicités par un jeune homme ambitieux et clairvoyant Jacques Trémoulet vont fonder Radio Toulouse, une des premières radio privées, pour pallier le manque d'émissions faciles à capter et offrir ainsi la culture et la distraction à un public régional de plus en plus curieux. Premier obstacle sur leur route, la diffusion est un monopole d'Etat et ils devront convaincre les autorités de l'intérêt de leur démarche. Plus tard, porté par son intuition Trémoulet va convaincre ses amis de l'opportunité d'installer une radio en territoire Andorran. Ce sera en 1939 la création de Radio Andorra.

C'est à cette aventure que nous convie Sylvain Athiel. D'une plume alerte il nous fait pénétrer l'intimité de ces trois hommes, dépeignant avec précision le contexte et les difficultés qu'ils ont dû surmonter. Ce qui aurait pu n'être qu'une biographie ennuyeuse prend ici l'ampleur d'une véritable aventure. Et le lecteur charmé se plaît à anticiper des péripéties des trois personnages, allant de surprise en surprise et découvrant l'ingéniosité dont fait preuve Trémoulet afin de parvenir à ses fins. Cependant ce livre est loin d'un panégyrique, l'auteur n'élude pas les manœuvres parfois limites de Trémoulet, pas plus que ses positions pour le moins ambiguës lors de l'occupation. C'est donc une histoire humaine, avec ses grandeurs et aussi ses faiblesses, que nous conte  Sylvain Athiel sur une durée de presque 60 ans. Car la belle aventure de Radio Andorra s'achèvera un jour d'avril 1981, le Conseil des Vallées lassé des controverses entre États de tutelle décidera de ne pas renouveler la concession.

Dans ce sens là, ces trois personnages sont des conquérants des ondes. Et même si les motivations ne sont plus les mêmes, ils sont les ancêtres de ceux qui 50 ans plus tard participeront à l'aventure des Radios libres dont l'aboutissement nous permet d'être dans ce studio avec vous amis auditeurs et de recevoir Sylvain Athiel. 


Conquérant des ondes de Sylvain Athiel est paru aux éditions Privat.



Chronique diffusée le samedi 15 octobre 2016, lors de l'émission  "Un jour, un livre un auteur" sur Radio Présence Lourdes.

lundi 3 octobre 2016

Lignes de fuite, Pascal Ravier et Jean Pierre Pujolle, éditions Cairn.

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Les deux auteurs, pyrénéistes accomplis, proposent à la curiosité des grimpeurs 138 itinéraires d'escalade répartis sur 5 vallées emblématiques des Pyrénées centrales (Haut Adour, Aure, Louron, Luchonais, et Piémont). Comme il sied a un ouvrage destiné aux amoureux de la montagne, les deux auteurs enrichissent la description technique de considérations esthétiques sur les lieux qu'ils dévoilent. Chaque série d'escalades est introduite par un texte de présentation exposant non seulement leur intérêt mais aussi le contexte et la gratification que le pyrénéistes y trouvera.

Clair dans ses descriptions comme dans son organisation, le guide ne fait pas l'impasse sur des digressions culturelles mettant en relief les mobiles du choix de ce lieu et des voies d'accès. L'écriture, légère dans les vignettes culturelles se fait précise dans les descriptions de l'itinéraire. Un guide joignant l'utile à l'agréable.

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Lignes de fuite, Pascal Ravier et Jean Pierre Pujolle, éditions Cairn.

Ce roman a obtenu le Prix du Guide Pyrénéen au 7° Salon du Livre Pyrénéen de Bagnères-de-Bigorre. 
Chronique diffusée le samedi premier octobre 2016, lors de l'émission  "Un jour, un livre un auteur" sur Radio Présence Lourdes, en direct depuis le Salon de Bagnères.

Le Mont Perclus de ma solitude de Fred Léal aux éditions P.O.L.

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Le narrateur, appelons-le Fred par exemple, écrivain jouissant d'une notoriété relative, et grimpeur averti, est invité par des membres du Club Alpin de Toulouse à parcourir à nouveau un itinéraire partant de Gavarnie en direction du Mont Perdu, itinéraire qui avait été le décor de son précédent roman. Le voici donc embarqué au sein d'un groupe pour le moins étrange, pour cette randonnée aux objectifs incertains. Ils marchent ensemble mais dans une singulière solitude réciproque ce qui exacerbe la paranoïa naturelle du narrateur. Mais pourquoi l'ont-ils sollicité ? Que cherchent-ils à découvrir ou à lui faire avouer ? Insensiblement la tension monte... jusqu'au drame.

Dans ce récit d'une apparente simplicité Fred Léal ne nous livre aucune clé de décodage. De la pensée à l'état brut, que traversent des émotions parfois contradictoires, entrecoupée de dialogues souvent anodins et de situations improbables. Ah! ces coups de fil passés avec le cellulaire, enfermé dans une cabine téléphonique, peut être désaffectée. Ou ces longues stations aux latrines destinées à cacher le coup de fil interdit. Délire de persécution ou expédition justicière pour punir l'auteur de dévoiler la montagne ? Le lecteur ne peut trancher, l'auteur lui cachant les motivations de chacun. Il reste à supputer, à reconstituer des mobiles. Au même titre que le narrateur le lecteur se retrouve seul pour tenter de reconstituer le sens profond de l'histoire.

Mais n'allez pas croire que ce roman (?) est triste. Au contraire il y a une sorte de jubilation dans la noirceur qui imprègne lentement l'histoire. Une ironie mordante qui relativise le drame en train de se jouer. Un dernier mot pour parler de l'écriture de Fred Léal. On pourrait dire qu'il s'agit d'un roman pictural tant la mise en page, l'organisation des phrases et l'imbrication des pensées, des éléments du décor qui entourent le narrateur, des dialogues des autres protagonistes composent au sens visuel du terme un tableau narratif. Lecteur précoce de la Beat génération j'ai retrouvé en Fred Léal quelque chose qui s'inscrit entre un William Burrough lisible, un John Dos Pasos naturaliste ou plus près de nous et dans un autre registre un W.G. Seebald qui se serait affranchi des photos-collages. 

--> Le Mont Perclus de ma solitude de Fred Léal aux éditions P.O.L.  Ce roman a obtenu le Prix Littérature au 7° Salon du Livre Pyrénéen de Bagnères-de-Bigorre. 
Chronique diffusée le samedi premier octobre 2016, lors de l'émission "Un jour, un livre un auteur" sur Radio Présence Lourdes, en direct depuis le Salon de Bagnères.

Quatre cercueils de Pep Coll aux éditions Actes Sud.

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Nous sommes en 1943, dans un coin perdu de Catalogne coincé entre les replis du Piémont pyrénéen à quelques dizaines de kilomètres de la  Seu d'Urgel. Entre forêts et pâturages quelques mas aux terres plus ou moins riches permettent à une quinzaine de familles de vivre. Ici, à l'écart de tout, la Guerre d'Espagne qui s'est achevée il y a 4 ans est un événement lointain dont les échos se sont vite tus absorbés par les hautes futaies. Pourtant, parmi les victimes du conflit, il y a Joaquim Sindreu le propriétaire des terres, industriel barcelonais, paternaliste, attentif au fragile équilibre de cette société rurale où les ambitions et les jalousies peuvent rapidement dégénérer.
Nous sommes à la fin de l'hiver, les corps de Josep Vilana, sa femme Margarida Miquela et leurs deux filles Maria et Carmen les métayers du mas de Laortó et du Clot de Moreu sont découverts. Tous quatre ont été assassinés avec une grande sauvagerie. Mais dans l'Espagne nouvelle, régénérée, désormais guidée par les valeurs du national catholicisme il n'est pas question que la presse diffuse cette nouvelle. Rapidement les soupçons s'orientent vers Eusebí Bringué et sa femme Amália Tost, pourtant malgré les preuves et les témoignages concordants les deux suspects bénéficieront d'un non-lieu et retourneront vivre à Carreu au milieu des autres fermiers pas dupes.
Ce fait divers aux dénouement étonnant est un matériau romanesque extraordinaire, à l'instar de Truman Capote qui enquête puis relate dans « De Sang froid » le crime sordide de quatre fermiers par deux marginaux à Holcomb au Kansas en 1959, Pep Coll mène une enquête minutieuse près de 70 ans après les faits afin d'essayer de comprendre non seulement le mobile qui a conduit au drame (ici la jalousie morbide d'un couple haineux), mais surtout les ressorts qui ont permis que les auteurs de ce crime abominable soient libérés et blanchis. Dans ce roman structuré en 19 récits qui mettent en scène chacun des protagonistes principaux : victimes, assassins, proches et voisins, ou personnel de Justice, l'auteur reconstitue avec précision le contexte et les évènements qui vont conduire à la tragédie. À la fois kaléidoscope d'une époque et d'un lieu, les récits se répondent les uns les autres et construisent un tableau d'une intense cohérence. L'écriture dépouillée, presque triviale, de Pep Coll conduit avec un art consommé le lecteur vers la vérité des personnages. À l'ambition industrieuse de Josep s'opposent l'appétit jaloux d'Amália et la violence brute de Eusebí, tandis que l'indifférence polie des héritiers de Joaquim Sindreu vis-à-vis des humains dont ils gouvernent les destinées produira l'enchaînement fatal. Peu à peu le piège tragique se construit, envahit l'espace des protagonistes avant de se refermer sur tous. Un livre âpre, superbement écrit, qui capte le lecteur du début jusqu'à la fin, et dont on ne sort pas indemne. 

Quatre cercueils : deux noirs deux blancs, Pep Coll aux éditions  Actes sud. Ce roman a obtenu le prix du Livre Pyrénéen au 7° Salon du Livre Pyrénéen de Bagnères-de-Bigorre. Chronique diffusée le samedi premier octobre 2016, lors de l'émission "Un jour, un livre un auteur" sur Radio Présence Lourdes, en direct depuis le Salon de Bagnères.