mercredi 25 octobre 2017

Des âmes simples de Pierre Adrian

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La vallée d’Aspe lorsque s’installe l’hiver. Une vallée pyrénéenne comme il y en a des centaines, verrouillées au pied des pics chenus. Si les nuits sont longues partout en cette saison, ici plus qu’ailleurs le relief et l’orientation posent l’obscurité en avance. Seules animations, la noria de camions qui grignotent la route vers le tunnel du Somport, sans un regard pour le paysage environnant, et le cortège espacé des pèlerins en route vers Compostelle. Pour le reste il y a les villageois, rares et esseulés, livrés à eux-mêmes avec pour seule compagnie leurs bêtes et les souvenirs douloureux. Dans cette obscurité envahissante, comme privée de Dieu, une seule lumière vacille encore. Celle de Pierre, le curé de la vallée, qui maintient une vie fragile au monastère de Sarrance.
C’est dans ce monastère que débarque le narrateur pour y passer quelques semaines. Les raisons qui l’ont poussé à cet exil ne seront pas dévoilées, il y vient pour fêter Noël sera notre seul indice. Il y découvre une petite communauté gravitant autour du prêtre : un ecclésiastique à la retraite, une bonne à tout faire, quelques mains secourables et des êtres errants, perdus. Une micro société à l’image de celle de la vallée.
Pierre Adrian en décrivant ces êtres au cœur d’une vallée sur laquelle s’étend l’obscurité pose la question : comment être prêtre dans un monde qui a perdu la foi ? Mais, contrairement à Bernanos qui décrit la déréliction de prêtres dans un monde sur lequel s’étendent les ténèbres, l’auteur nous donne l’exemple d’un curé qui sert de rocher aux humains désorientés, croyants ou non, qui peuplent cette vallée. Peu importe que celui qui fait appel à lui soit un de ses fidèles ou un incroyant avéré, la solidarité humaine est plus forte que ce détail. Il part dans la nuit réconforter celui qui doute, qui souffre, qui se languit d’une compagnie.
Avec ce roman, nourri, fertilisé par les quelques semaines que l’auteur a passées dans ce monastère, dans cette vallée, Pierre Adrian, d’une plume alerte et parfois poétique, nous parle de ce qu’il y a de plus universel : la compassion, l’entraide face au sentiment d’abandon. Le récit se déploie en séquences sporadiques qui composent au final une belle fresque d’Humanité. Un très beau roman qui attache le lecteur.

Des âmes simples de Pierre Adrian aux éditions Equateur 2017. 

Cette chronique est un prélude à l'émission Un jour, un livre, un auteur du samedi 20 octobre sur Radio Présence Lourdes. À écouter ici : https://www.radiopresence.com/emissions/programme-local/tarbes-et-lourdes/un-jour-un-livre-un-auteur/article/un-jour-un-livre-un-auteur-40739

vendredi 20 octobre 2017

Une belle lecture : Moi je conduirai les chevaux, Anne Lasserre-Vergne

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« Moi, je conduirai les chevaux » est un titre trompeur, l’expression volontariste (que l’on imaginerait volontiers sortant de la bouche d’un adolescent défiant un adulte donneur de leçons) est à l’opposé du calme, de la quasi résignation des personnages qui peuplent la douzaine et demie de nouvelles que nous offre Anne Lasserre-Vergne dans cet opus. Chacune de ces courtes histoires est une tranche de vie, presque un instantané, situé à l’ultime bout du chemin. Ce sont de petites saynètes pleines de verve où la vieillesse et la mort s'affrontent comme un passage naturel parce que la vie des personnages a vraiment été vécue. Là, face à l’inéluctable finitude les personnages révèlent une lucidité douce et apaisée. S’il y a des regrets, ils sont assumés avec pudeur et dignité.
Anne Lasserre-Vergne réussit à faire d'un thème a priori triste et déprimant un moment de nostalgie apaisée plein d'humour et de chaleur. Elle cisèle de très beaux textes parfois plus proches du conte que de la nouvelle telle qu'on l'imagine. Le lecteur se laisse guider par la plume aérienne de l’auteure vers un univers où il plonge totalement, ressentant la tiédeur d’une brise, l’odeur d’encaustique et de lavande d’une vieille demeure, les fragrances florales lorsque s’installe le crépuscule et le bruit assourdi de la vie alentour qui continue alors que celle du personnage s’efface doucement. Si l’ironie est présente dans ces beaux textes, elle ne se départ jamais d’une profonde tendresse. Peut-être parce que, comme le disait Mahler, l’ironie est l’élégance du désespoir.
Le recueil « Moi, je conduirai les chevaux » se lit avec gourmandise. Un grand merci à l’auteure pour ces beaux instants rassérénés. 

« Moi, je conduirai les chevaux » de Anne Lasserre-Vergne est édité aux éditions Lucane 2017

mercredi 18 octobre 2017

Fourbi étourdi de Nick Gardel


Jean Édouard, dit Jed, est un glandeur qui vit d'expédients. Mais il a des principes et lorsque Paul, son ami d’enfance, lui demande de l’aide il n'hésite pas une seconde à voler à son secours. Voler au sens pénal du terme, car sans véhicule pour se rendre au fin fond de la Vienne il va subtiliser une voiture dans un parking. Hélas pas n’importe laquelle, car les modernes carrosses étant inviolables ou presque, il jette son dévolu sur une superbe DS Pallas. Bon avouons qu’il y a mieux pour passer inaperçu. D’autant plus que celle-ci lui réserve deux surprises : une bonne et une mauvaise. La bonne est un grand sac rempli de billets de banque, la mauvaise le cadavre qui gît à côté. Tout être sensé fuirait à toutes jambes, mais pas Jed. Et voici que l’aventure commence….

Dans un style alerte et imagé Nick Gardel entraîne le lecteur dans une folle poursuite où Jed est le gibier traqué par le duo implacable d'un italien sadique et d’un portugais bas du plafond aux ordres d’un commanditaire sanguin. C’est oublier que rien n’est joué d'avance et qu’un dieu mutin, ou tout simplement le hasard, peut gripper les mécaniques les plus sophistiquées. Les morts jonchent le parcours, mais rien de lugubre ici, juste une folie ironique et joyeuse tirant au lecteur complice des larmes non de peine mais de rire. L’auteur, débridé et fantasque, accumule les situations improbables en un crescendo digne des meilleurs cartoons, malmenant certes son héros mais sans jamais se départir d’une tendresse cachée. Il y a dans ces personnages ballotés par les humeurs de Nick Gardel, quelque chose des losers attachants que décrit Tonino Benacquista. Peut-être que comme l’Antoine de Benacquista, Jed est un double fragile de Gardel ? Un roman picaresque à lire un soir d’automne cafardeux.

Fourbi étourdi de Nick Gardel aux éditions Caïman.
Cette chronique a été diffusée le 14 octobre lors de l’émission Un jour, un livre un auteur sur Radio Présence Lourdes.

vendredi 6 octobre 2017

Les prix décernés par le 8 ème Salon du Livre Pyrénéen.

Comme chaque année le Salon du Livre Pyrénéen de Bagnères-de-Bigorre a couronné quatre ouvrages parmi les 61 en compétition pour cette huitième édition. Lors d'une émission spéciale en direct depuis le Carré Py où se situe la manifestation nous avons Philippe Nonie, Marina Varin et moi-même reçu les lauréats. Voici les chroniques que m'ont inspirés ces quatre livres et qui ont été diffusées en direct le 30 septembre sur Radio Présence Lourdes dans l'émission Un jour, un livre un auteur.

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Prix du Livre Pyrénéen 2017 pour "Les estives d’Ossau". 

Il s'agit d'un ouvrage collectif sous la direction de Christine Rendu, Carine Calastrenc, Mélanie Le Couedic, Anne Berdoy paru aux Éditions Le pas d’oiseau.



Le pastoralisme est une activité pluri-séculaire que l’on imagine dès lors comme figée dans une tradition immuable. L’enjeu de ce bel ouvrage de 280 pages, richement illustrées, est au contraire de montrer comment il évolue dans le temps et l’espace pour tenir compte à la fois des contraintes géographiques et sociétales. Composé de deux parties, la première se focalise sur le site d’Anéou dans la vallée d’Ossau, la seconde ouvre la focale et s'intéresse à la vallée dans son ensemble et donc aux liens et interactions qui s’y sont joués.

La première partie décrit les recherches et découvertes faites sur le site d’Anéou pour la période allant du XXII ème siècle avant notre ère jusqu’au présent. En deux chapitres les auteurs nous livrent une première approche contemporaine avec des interview d'acteurs pastoraux, puis à l’issue d'une présentation des méthodologies mises en œuvre ils nous plongent dans l’exploration archéologique du site.

Dans la seconde partie nous abordons là aussi en deux chapitres une synthèse qui parcours le temps séparant le néolithiques et l’époque contemporaine, mais cette fois en élargissant à la vallée entière.

L'ensemble de l'ouvrage bien que savant est totalement accessible aux esprits curieux, il mêle de superbes photos légendées avec des schémas, des graphiques qui soutiennent le texte. Un bel ouvrage qui brise la vision réductrice d’une culture pastorale figée dans l'archaïsme. 

Prix du Livre Pyrénéen Guide 2017  pour "Les reptiles pyrénéens".
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Gilles Pottier nous livre ici un ouvrage savant sur cette partie de la faune souvent mal connue et donc mal aimée que sont les reptiles vivant dans nos montagnes. L’auteur sacrifie à la pratique classique de tout ouvrage scientifique en l’organisant de façon rigoureuse. Structuré en trois parties, il nous décrit d'abord le contexte pyrénéen abordant dans cette première partie - à la fois brève puisque l’auteur n’y consacre que 20 pages et pour autant très claire et accessible à un non spécialiste - les questions géographiques, écologiques et taxinomiques (la taxinomie étant la discipline du classement des espèces.). Vient ensuite la partie la plus étendue du livre qui décrit en quelques pages chacune des 32 espèces endémiques de notre beau massif (3 de tortues, 17 de lézards et 12 de serpents). Gilles Pottier termine par une longue conclusion sur les menaces qui pèsent sur ces espèces et fournit quelques idées sur leur conservation. L’ensemble de ce travail dont le texte est d’une clarté exemplaire s’accompagne de cartes géographiques permettant de visualiser de façon presqu’intuitive les habitats de chacune des espèces, et s'enrichit d’une galerie de superbes photos.

En conclusion un très bel ouvrage où les qualités scientifiques sont mises à la portée de tout béotien un petit peu curieux. 

Les reptiles pyrénéens de Gilles Pottier est paru aux éditions du Muséum National d’Histoire Naturelle. 

Prix du Livre Pyrénéen Littérature 2017  pour Aquerò

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Une narratrice perdue dans une forêt. Un récit qui s'allonge sans presque de ruptures structurelles. Un récit ? Ou le bouillonnement aléatoire d’une pensée errante ? Sensations, perceptions brutes se posent ici et là en un dessin impossible à lire. Comme un puzzle abandonné momentanément au regard du curieux et dont les amas déjà construits jonchent, semblent joncher, la table sans lien entre eux. Pourtant progressivement deux lignes de force émergent, la première autour de la métaphore du rapetissement au cœur d’une caverne, la seconde autour de la figure de Bernadette face à l’apparition de la Vierge.

L'écriture de Marie Cosnay est inspirée, poétique. Des phrases longues, respirant au rythme des virgules qui scandent les adjectifs ou les adverbes. Elle se déploie en une sorte de spirale verbale qui emplit et l’espace et le lecteur fasciné. J’y ai retrouvé des résonances avec l'écriture de la beat generation, mais ce serait celle d’un Allen Ginsberg assagi, d’un William Burrough chaste, débarrassés des vapeurs et hallucinations narcotiques. Une écriture qui n’ayant plus à provoquer peut enfin évoquer en toute quiétude les émois et interrogations intérieures.



Aquerò de Marie Cosnay est paru aux éditions de l’Ogre.


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Prix du Livre Pyrénéen Binaros 2017 pour "La découverte des Pyrénées". 

Quoi de plus évident que les Pyrénées ? Surtout lorsqu’on voit de ses fenêtres les hautes cimes qui se découpent en ombres chinoises à l’horizon lorsque se couche le soleil. Pourtant, il a fallu de nombreux siècles pour que ces fières montagnes soient appréhendées dans leur réalité. Et encore, de quelle réalité s'agit-il ? La géographique ? La botanique ? Celle des historiens ou celle des hardis grimpeurs qui ont affronté les faces abruptes et ses pics déchiquetés ?
Tout l'intérêt de l'ouvrage que nous propose Claude Dendaletche est d’offrir une approche synthétique qui croise ces différents points de vue. En sept chapitres agréablement écrits l’auteur aborde chaque facette des Pyrénées. Le propos est richement illustré par une nombreuse iconographie issue de collections tant privées que publiques. Une façon pédagogique et fortement esthétique de se plonger dans la genèse d’un massif incontournable.



 La découverte des Pyrénées de Claude Dendaletche est publié aux éditions Arteaz.