mercredi 18 décembre 2019

Les pèlerins du diable, Frédéric Pons.

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Nous sommes à Lourdes, à quelques jours du 14 juillet et au plus fort des pèlerinages. Les attentats qui ont endeuillé la France sont encore dans toutes les mémoires, mais la vie s’écoule monotone et paisible dans la cité mariale qui semble loin de ces horreurs. Pourtant la petite phrase de défi lancée par Driss, un petit délinquant, au capitaine Payole va perturber le commandant divisionnaire Cabana. Et si la violence islamiste frappait la calme petite ville pyrénéenne ?

C’est sur cette hypothèse que Frédéric Pons construit l’intrigue de son roman. Il plonge le lecteur alternativement du côté de deux individus paumés que galvanise un recruteur auréolé de son passé chez Daesh, et les quelques policiers qui vont tenter de circonscrire le danger potentiel avec leurs maigres moyens. Le lieutenant Fournier, jeune femme ambitieuse, l’expérimenté capitaine Payole, ancien de la BAC paloise, le commandant Cabana, ex-militaire et croyant sincère, parviendront-ils à enrayer la mécanique diabolique qu’a concoctée Rachid le cerveau de ces pèlerins du diable ?

L’écriture de Frédéric Pons est nerveuse, simple, allant à l’essentiel. L’intrigue se déploie en aller-retour entre les deux camps pour dévoiler les techniques d’embrigadement et montrer la difficulté du dialogue. Le roman est fort bien documenté et entraine le lecteur dans une course contre la montre haletante qui le colle au livre. Un beau moment de lecture, qui en prime donne au lecteur des éléments de réflexion.

Les pèlerins du diable de Frédéric Pons, aux Éditions Calmann Lévy, collection territoires.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le 11 décembre 2019.

vendredi 8 novembre 2019

L'ombre des derniers Cathares, Alain Roumagnac.

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Richard Queyrane officier de police, expérimenté mais usé par le manque de considération de l’administration pour ses serviteurs, part à la retraite après une énième injonction contradictoire de l’institution. Inconsolable depuis le décès de sa femme quelques années plus tôt, rongé par le départ de son fils qui s’installe en couple, il rumine tristement dans son appartement parisien. Mais c’est compter sans un coup de pouce du destin qui va le sortir de son isolement : un copain de classe perdu de vue depuis des décennies vient de mourir et le charge d’une étrange mission à Toulouse leur ville natale à tous deux.
Queyrane constatera très vite que ses deux comparses d’occasion, Jérôme Carven son ancien coéquipier à l’OCBC (office Central de lutte contre le trafic de biens culturels) et Muriel Montoire, une experte en art, ne seront pas de trop pour l’aider à résoudre l'énigme que constitue le legs de son ancien camarade d’école. Car tout est mystérieux dans cette affaire : les personnages croisés au fil du récit, leurs mobiles, les objets trouvés…. Jusqu’au dénouement final.
Alain Roumagnac nous livre avec L’ombre des derniers Cathares son premier roman. Il nous convie à une lente exploration d’un mystère quasi millénaire et à celle de l’âme de trois solitudes attachantes. C’est d’une plume précise et érudite que l’auteur nous raconte les tâtonnements, les errances, les obstacles auxquels ces trois chevaliers modernes devront se mesurer pour parvenir au bout d’une quête mystique qui les changera. Un beau roman sur l’amour, l’amitié et la découverte de soi.

L’ombre des derniers Cathares d’Alain Roumagnac aux Éditions Cairn.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le 9 novembre 2019. 

mardi 5 novembre 2019

Le manuscrit improbable, Patrick Amand.

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Mais quelle mouche a piqué Charles Salviac, maire de Poitiers, ce 13 janvier 2017 d’annoncer en grandes pompes l’arrêt du projet de centrale photovoltaïque au profit d’une rénovation de La Merigote propriété de J.R. Bloch, journaliste et écrivain engagé, ami d’Aragon et de nombre de grands écrivains de la première moitié du XXème siècle ?
Certainement pas un coup électoraliste pense Jean-Michel Hénère, journaliste et rédacteur en chef de C ton Poitiers un gratuit informatif, patrimoine et culture n’étant plus des valeurs payantes face à l’écologie. Alors qu’a derrière la tête ce fin et roublard politique ? Le journaliste se trouve embarqué dans une enquête qui plonge dans le passé avec la visite 80 ans plus tôt jour pour jour de Louis Aragon à la Merigote. Que recherche avec tant d'avidité Claude Vival, universitaire spécialiste de Jean-Richard Bloch, lors des travaux de rénovation du lieu ? Quel rôle joue Lorea Sallarena, ex petite amie d’Henere et conservatrice de la médiathèque de Poitiers spécialiste de J.R. Bloch ? Et pourquoi certains objets disparaissent-ils de l’inventaire de la villa au fur et à mesure de l’avancement des travaux ? Las, non content des vols voici que s’accumulent les cadavres et notre rouletabille devra poursuivre son enquête a des risques et périls ?

Patrick Amand nous livre ici un récit qui mêle habilement intrigue policière et découverte littéraire. Dans une trame d’aller-retour entre 1937 et 2017 l’auteur nous invite à la redécouverte d’un auteur injustement oublié, dans le contexte de la Guerre d’Espagne, annonciateur de l’apocalypse qui plongera le monde dans l’horreur et le chaos. Il nous place en témoin privilégié de la rencontre en pleine nuit du 13 janvier 1937 entre Aragon et Bloch, puis il nous glisse à ses côtés lors d’une soirée entre auteurs où nous côtoyons les plus belles plumes et intellectuels de l’époque ( Stefan Sweig, Vildrac, Jules Romain, Georges Duhamel, Lazarus et bien entendu Aragon ). Le manuscrit improbable nous tient en haleine du début jusqu’à sa conclusion. Un beau récit érudit et fantasque à consommer avec délectation.


Le manuscrit improbable, Patrick Amand Éditions du Caïman.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le 2 novembre 2019. 

vendredi 1 novembre 2019

La face sombre du magicien, Anne Waddington.

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Dans « La face sombre du magicien » l’auteure Anne Waddington nous propose de suivre deux intrigues se déroulant à près de 80 ans de distance.
Le roman s’ouvre sur l’histoire de Mélissa Dawling, jeune femme libérée issue d’une famille riche de la grande bourgeoisie américaine au détour des années 30, de son frère Justin médecin eugéniste qui rejoindra l’Allemagne nazie pour y poursuivre ses travaux visant à éradiquer les « dégénérés » et de sa femme Déborah qui épouse elle aussi ses thèses.
Parallèlement en 2017 Clarisse, Jacques son frère, Ninon sa fille se trouvent plongés dans une sombre aventure qui met leur vie en danger. Est-ce que l’aide d’Yvonne une étrange amie de Marion, la mère de Clarisse, de Maître Delvaux ténor du barreau quoique nain et de Pierre-Marie Cassio son fidèle enquêteur parviendra à écarter les dangers qui planent sur eux ? Et quel rapport peut-il y avoir entre leurs agresseurs et des femmes ayant côtoyé des nazis, mortes assassinées ?

Encore une fois Anne Waddington nous dévoile un pan méconnu ou plus simplement refoulé de notre histoire. Après la place des femmes durant la première guerre mondiale, après la résistance face à l’occupant et ses collaborateurs dans les monts de Lacaune, elle nous montre que bien avant les lois nazies contre les handicapés et malades graves de 1933, les États Unis et d’autres nations démocratiques ont déployé un arsenal juridique semblable et dans le même but : réduire la dépense que suscite la prise en charge des plus faibles de nos concitoyens. Comme à son habitude la plume de l’auteure nous plonge plaisamment dans les méandres de l’âme des protagonistes et le contexte de l’époque. Les personnages sont d’une densité qui nous touche, et les péripéties empêchent le lecteur tenu en haleine de se détacher du roman. Une bien belle histoire, douloureuse et cependant pleine de ressort pour résister.

La face sombre du magicien, Anne Waddington Éditions La plume d’Alain.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le 26 octobre 2019.

lundi 28 octobre 2019

Les mots des salines, Philippe Nonie, Prix Francis Jammes 2019.

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Les mots des salines de Philippe Nonie, qui vient de se voir attribuer le prix Francis Jammes à Vic-en-Bigorre, est plus qu’un roman intimiste ; il est aussi une patiente plongée dans les souvenirs d’une jeune femme endeuillée et une ode majestueuse à la lenteur. Lenteur de la marche, lenteur de l’évaporation qui fait émerger le sel en une écume immaculée, lenteur du processus de deuil. Ce roman est une belle histoire d’amour triangulaire où le lent déroulement de l’extraction du sel est une métaphore du travail que requiert la perte, pour partant d’abysses vertigineuses aboutir à la paix reconstructrice.

Elle, c’est Sophie qui travaille dans l’édition et qui à la suite de la perte de Stéphane son compagnon décide de remonter le cours du fleuve Adour pour, à travers cette marche à rebours, aller vers le passé à la recherche de ses anciennes amours. Lui, s’appelle Simon, c’est un écrivain britannique dont le dernier roman a pour cadre les salines Villeroy à Sète. Sophie et lui se sont aimés par le passé. Victime d’une maladie des yeux qui l’a rendu aveugle Simon a besoin d’un accompagnement pour ce travail. Sophie, tout en lui cachant leur passé amoureux commun, est chargée de l’aider et tous deux vont se côtoyer ainsi au long d’un été finissant. Stéphane, l’amant décédé, s’intercale non comme un fantôme perturbateur, mais comme un médiateur entre passé et présent, entre amour perdu et amour déchiré, avec cette question lancinante : l’amour peut-il renaître de ses cendres ?





Les mots des salines de Philippe Nonie aux Éditions TDO, prix Francis Jammes 2019.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes lors du direct depuis Le Salon du Livre Pyrénéen le 5 octobre 2019. 

Trésors géologiques du Pays basque, Prix du Livre pyrénéen 2019

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Ce guide nous invite à découvrir des paysages exceptionnels liés à l’érection de la chaîne des Pyrénées et à identifier des formations géologiques significatives que cela a créé. Organisé autour d’une description fine de la côte basque française et de son pendant espagnol, il fait aussi la part belle à l’estuaire de la Bidasoa.
Dans cet ouvrage d’un peu plus d’une centaine de pages, Thierry Juteau développe son propos avec beaucoup d’érudition. Ses descriptions précises sont soutenues par une grande quantité de photos, de croquis et schémas très parlants. Un beau voyage à la fois dans le temps et dans l’espace pour découvrir un autre angle de vue sur ces endroits que l’on croyait connaître.



Trésors géologiques du Pays basque dir. Thierry Juteau, Éditions Kilika. Prix du Livre Pyrénéen-Guide 2019.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes lors du direct depuis Le Salon du Livre Pyrénéen le 5 octobre 2019. 

Les Cagots, Benoît Cursente, Prix du Livre pyrénéen 2019

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Les cagots de Benoît Cursente est un travail de recherche historique, au pari risqué : retrouver la trace et analyser la spécificité d’une population stigmatisée aujourd’hui disparue. L’ouvrage compte 8 chapitres et un préambule, 7 annexes, une bibliographie synthétique de 9 références. 28 cartes et figures. Le tout sur 299 pages. S’appuyant sur des archives parfois fort minces, et une démarche scientifique aguerrie, l’auteur entraine le lecteur dans une enquête passionnante pour débusquer la vérité parmi l’énorme masse de récits, certains véridiques d’autres plus ou moins apocryphes, qui prétendent parler des Cagots. Ce livre qui tient à la fois de l’étude érudite et du polar montre de façon éclatante de quelle manière la peur de la souillure va lentement basculer dans la ségrégation sociale, puis lorsque celle-ci va être combattue par le pouvoir politique comment se mettent en place des résistances pour empêcher que la ségrégation ne disparaisse.
Au-delà de sa dimension historique, l’intérêt de ce livre réside aussi dans son actualité. En effet, les mécanismes de ségrégation et les résistances à leur disparition, motivés par la crainte réelle ou fantasmée d’une relégation sociale que suscitent aujourd’hui les exilés (je privilégie ce terme à celui de migrant) trouvent ici un éclairage utile. Comme toujours l’Histoire en nous aidant à comprendre le passé nous fournit aussi des outils pour comprendre et agir dans notre présent. Un livre absolument nécessaire en ce début de millénaire.




Les cagots de Benoît Cursente aux Éditions Cairn prix du Livre Pyrénéen- connaissances 2019.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes lors du direct depuis Le Salon du Livre Pyrénéen le 5 octobre 2019. 

Avec Peu de bagages, Prix du Livre Pyrénéen 2019

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Avec peu de bagages est une pièce de théâtre de Jesús Arbués créée à l’espace Robert-Hossein à Lourdes en 2013. Elle met en scène deux protagonistes : un grand-père habitué des cauchemars et son petit-fils qui tente de percevoir ce qui ronge son aïeul. De ce dialogue presqu’impossible vont surgir pour les spectateurs, mais aussi pour le lecteur, les spectres de la Retirada, cet exil terrible où 500 000 espagnols ont fui leur terre pour échapper non à la guerre, qui se finissait, mais à la vengeance implacable des bourreaux de la seconde République espagnole. En une suite de tableaux, mixant passé et présent, l’auteur nous donne à voir : d’abord l’impossibilité pour les acteurs de faire comprendre l’horreur de ce moment, ensuite les souffrances et les choix déchirants qu’une telle tragédie suppose, enfin par petites touches il nous invite néanmoins à ne pas éviter ce retour à la mémoire historique qui seul permet de continuer à vivre en paix avec soi-même.

Un très beau récit sur la mémoire, sur la réconciliation avec soi-même. Mais au-delà de cela il y a aussi le rappel de ce qu’endurent les exilés entre deuils et rejets (et notez que j’utilise ce terme à la place de l’euphémisme migrant). Un texte d’une profonde humanité, et d’une actualité impérieuse.


Avec peu de bagages de Jesús Arbués, aux Édition La Ramonda. Prix du Livre Pyrénéen- Littérature 2019.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes lors du direct depuis Le Salon du Livre Pyrénéen le 5 octobre 2019. 

Arpenter le paysage, Prix du Livre Pyrénéen 2019

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Qu’est-ce qu’un paysage ? Une réalité objective de géographe ou une construction intersubjective de montagnards et poètes arpenteurs ? Pour répondre à cette question Martin de la Soudière puise à la fois dans ses souvenirs d’enfance et son expérience d’ethnologue parcourant les « pays » hexagonaux et aussi dans ce qu’en disent des auteurs aussi divers que : Fernando Pesoa, Julien Gracq, Jean Giono et Gilles Lapouge d’une part, Jean Loup Tressard, Philippe Jaccottet, Pierre Sansot et André Dhôtel d’autre part. C’est au long de 16 chapitres consacrés à autant de lieux traversés que Martin de la Soudière dialogue avec eux pour tenter une définition de ce qu’est le paysage.
Pourtant cette question d’ethnologue et de géographe touche le lecteur néophyte par la grâce et la poésie du texte de l’auteur que rehaussent dessins et photographies tirées de ses nombreux carnets de route, tenus au long de sa carrière. Rejoignant dans ce texte la douce et nostalgique langueur qu’ont su lui insuffler d’illustres prédécesseurs tels que Claudio Magris avec Danube, Dominique Fernandez et son parcours du Croissant Baroque ou W.G Seebald dans la lente déambulation des Anneaux de Saturne. Ce livre est vous l’aurez compris une superbe invitation au voyage faite à chacun d’entre nous.


Arpenter le paysage de Martin de La Soudière, Éditions Anamosa. Prix du Livre Pyrénéen-Binaros 2019.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes lors du direct depuis Le Salon du Livre Pyrénéen le 5 octobre 2019. 

jeudi 27 juin 2019

Les vieux démons, Yves Carchon

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Fin 1960, les « évènements » comme on nomme pudiquement la guerre d’Algérie ont débordé sur le territoire métropolitain : ratonnades, attentats et exécutions sommaires se suivent avec de moins en moins de répit. Policiers, militants du FLN et leurs soutiens tombent sous les balles des deux camps. Mais jusqu’à présent seuls les sans-grade sont touchés. Or, les choses prennent une autre tournure lorsque Louis Gerbaut, puis Paul Cottard, deux hauts fonctionnaires de la DST sont égorgés en plein cœur de la capitale. Pour résoudre cette affaire la Crim’ fait appel à Paolo Fragoni, un jeune policier aux méthodes atypiques qui végète aux archives après un faux pas.
Accompagné de Duval un flic ayant vécu la période de l’Occupation il va devoir faire la part des choses entre le passé collaborationniste des deux victimes et leurs activités actuelles d’élimination des activistes de l’indépendance algérienne. Mais Fragoni n’est pas le seul à vouloir retrouver le meurtrier, à ses trousses il y a aussi des barbouzes du SAC et de la FPAP, un mouvement de supplétifs musulmans, et tout ce joli monde se déplace de Paris à Toulouse, puis Perpignan avant de se retrouver à Madrid.
Yves Carchon entraîne le lecteur avec brio des heures noires de l’Occupation à celles dramatiques qui voient la naissance de la Vème république et la fin de la guerre d’Algérie. L’auteur fait preuve d’une connaissance documentée de ces deux périodes, qui plonge le lecteur dans ce monde interlope des auxiliaires du pouvoir, faux démocrates mais vrais truands. Vieux flics rescapés de la collaboration, sortis du placard pour cause d’expérience dans la traque des communistes ou résistants et qui prospèrent dans des officines plus ou moins légales. C’est avec une plume tranchante qu’Yves Carchon nous happe, et sans nous laisser de répit nous conduit à l’acmé de ce récit tragique. À lire avec attention pour ne pas oublier qu’à défaut de rédemption seuls reviennent les vieux démons.


Les vieux démons, Yves Carchon aux Éditions Cairn.

mercredi 26 juin 2019

Le Dali noir, Yves Carchon

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Pourquoi Flora Zoltan qui fut modèle pour Picasso, Dali et Matisse dans les années 1920 fait-elle appel à Paolo Fragoni, vieux flic à la retraite pour retrouver un tableau qui lui a été dérobé ? Et quels liens étranges y a-t-il entre cette nonagénaire et les parents de Fragoni ? Poussé par la curiosité il accepte l’offre de la vieille égérie et va se retrouver très vite face à des adversaires coriaces et sans scrupules, car le tableau volé est convoité non seulement par la mafia catalane, mais aussi par une sombre organisation apocalyptique La Main Noire. C’est donc entre Collioure, Ceret et Perpignan que notre atypique enquêteur va démêler les fils d’une histoire bien complexe qui le confronte aux questions sans réponse de son enfance.

Yves Carchon saisit le lecteur dans les filets d’une intrigue sans temps morts qui par des allers retours entre les souvenirs du passé glorieux de trois géants qui ont révolutionné la peinture et les miasmes d’un temps présent nous offre une magnifique leçon d’histoire de l’Art, mais il interroge aussi l’acte de création et sa dimension parfois prophétique. À cette érudition plaisante l’auteur allie l’écriture ciselée dans une belle langue.
Avec le Dali Noir, Yves Carchon confirme son talent et nous offre une belle fresque au cœur de paysages magnifiques qui ne laissera personne indifférent.



Le Dali noir, Yves Carchon éditions Cairn.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le 26 Juin 2019. 

mardi 11 juin 2019

Marcher vers les cimes, Eldorando 2019

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Les cimes rebelles de Laurence Muguet.

Qu’est-ce qui peut bien conduire Khadija vers les cimes ? Qu’est-ce qui la fascine au point de quitter un père aimant et qu’elle aime, un ami d’enfance dont elle partage les sentiments ? Rompant avec la tradition marocaine et une existence toute tracée, la jeune fille se lance seule à l’assaut du Toubka le sommet de l’Atlas qui domine leur village, puis enhardie par la complicité d’un trio de randonneurs français elle se confronte à quelques sommets pyrénéens avant de parcourir le monde pour escalader des lieux extraordinaires.
Laurence Muguet nous brosse le portrait d’une jeune fille que porte une étrange fièvre que rien ne vient éteindre. Elle marche devant elle, consciente de délaisser les gens qui l’aiment et qu’elle aime. Elle marche poussée par une force impérieuse que l’auteure nous donne à sentir sans la déflorer. L'écriture de Laurence Muguet est nerveuse, allant à l’essentiel. Un beau roman sur la volonté et l’amour inconditionnel.

Les cimes rebelles, Laurence Muguet, éditions Gypaete.

Racine Carougne d’Amandine Monin.

Racine Carougne nous emmène en randonnée avec l’auteure et ses familiers en une pérégrination poétique à travers les Pyrénées.U Chemins et refuges, randonneurs, météo et états d'âme se déclinent à travers de jolis poèmes en prose. Une belle balade en apesanteur que nous proposent Amandine Monin et son éditeur Jacques Brémond dans un superbe objet-Livre.

Racine Carougne, Amadine Monin, éditions Jacques Brémond. 

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le 8 Juin 2019 lors du direct depuis l'édition 2019 d'Eldorando à Arrens-Marsous.


jeudi 6 juin 2019

Superman ne volera plus de Gilbert D. Noguès

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Gus est un SDF comme il y en a tant désormais dans nos villes. Il a son coin préféré dans un quartier rupin de Toulouse. Un soir alors qu’il prépare sa couche, le carton d’un grand frigo, Superman atterrit de façon plutôt brutale sur son Caddie à quelques pas de lui. Et sans conteste le super héros est mort et bien mort. Qu’est-ce qui passe par la tête de Gus ? On l’ignore, mais voici qu’il décide de planquer le cadavre au grand dam de Jules César qui en compagnie d’autres personnages historiques se demandent où est passé le corps.
Et c’est là que commence pour Gus et son cadavre un étrange périple secondé de main de maître par Consuelo, une chanteuse plutôt enveloppée (euphémisme) et son chien Spartakus, Gégé un anarchiste spécialiste d’explosifs et Che brocanteur et bricoleur de génie.
Gilbert Djebel Noguès nous raconte avec un plaisir évident l'épopée improbable de cette petite bande d’illuminés bien décidés à redonner vie à la Révolution à défaut de pouvoir le faire avec le cadavre de Superman. L’auteur déploie une ironie mordante qui désamorce les situations tragiques, tout en rendant magnifiques ces pieds nickelés dérisoire. Gilbert Noguès ne peut cacher une tendresse profonde pour tous ces « laissés pour compte » de notre société de compétition déshumanisante. À lire absolument, et à brandir en criant : ¡ Hasta la Victoria siempre !


Superman ne volera plus de Gilbert D. Noguès, éditions Cairn. 


Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le  1er Juin 2019. 

mercredi 15 mai 2019

Une tache indélébile de Philippe Jarzaguet

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Le Commandant Antoine Brassac vient d’être nommé attaché de sécurité intérieure à Nicosie, capitale de l’ile de Chypre. Son ancien indicateur Rino dit « le maquereau » le contacte juste avant son départ de la PJ pour l’informer de la mise en place d’une nouvelle filière de trafic de drogue et d’êtres humains. Coïncidence ou coup de chance le double trafic est destiné à Chypre. Sur place le policier, en collaboration avec son homologue britannique d’une part et les autorités policières locales, va devoir faire preuve de perspicacité et surtout de beaucoup de doigté car face à lui les suspects sont légion. D'abord il y a deux jeunes braqueurs au QI de moule, ensuite Lakis, Andreas et Spyros trois honorables commerçants le jour, mais maîtres des nuits interlopes de la capitale chypriote ainsi qu'Arda ami d’enfance de Spyros ; le premier est chypriote turc, le second chypriote grec, enfin l'ex-général turc Erdem qui contrôle un réseau maffieux chypriote turc. Sans compter la présence énigmatique de la troublante assistante du procureur de la République Turque de Chypre Nord.
En une suite de brèves séquences qui nous introduisent auprès de chaque protagoniste, de Paris à Saint Domingue, de Marseille à Nicosie en passant par Madagascar l’auteur construit son récit comme un kaléidoscope aux couleurs exotiques. Petit à petit Philippe Jarzaguet élabore les pièces d’un piège mortel faisant monter la tension du lecteur. L'écriture est nerveuse, l’intrigue complexe et palpitante, le tout servi par une connaissance très précise des lieux et procédures. Un roman agréable à lire, parfait pour oublier ses soucis quotidiens.


Une tache indélébile de Philippe Jarzaguet, éditions Persée.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le  15 mai 2015.

dimanche 5 mai 2019

H.S. de François Salvaing

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H.S. Hors service, c’est la volonté politique qui de 1976 à 1984 conduira la sidérurgie lorraine à cette extrémité. François Salvaing nous décrit à travers le retour, 30 ans plus tard, sur un fait divers local la lente agonie de ce fleuron séculaire de l’industrie française. Le narrateur, ancien journaliste, revient vers des témoins privilégiés de l'époque pour poser le récit de cette histoire d’amour tragique. C’est ainsi que les nombreuses rencontres, près de la gare de l’Est à Paris, à Nancy, Metz ou dans les villes sinistrées du Pays Haut brossent un tableau douloureux des abandons, mensonges et trahisons qui ont détruit le tissu social d’une région entière, enjoignant aux femmes et hommes d'abandonner ce qui les constituait en tant que culture vivante sans le moindre égard pour la blessure que cet arrachement pouvait constituer.
C’est en journaliste rompu au croisement des témoignages que François Salvaing nous invite à cette plongée douloureuse. Son écriture précise cerne au plus près les faits dans ces discours pluriels, faisant émerger une réalité sociale agressée. Il restitue l’ambiance combative mais aussi la lente montée de la résignation face à ce que les chantres de la modernité présentent comme un destin inéluctable. Et c’est bien dans l'allégorie d’un double amour inacceptable et de fait voué à la destruction que l’auteur nous dévoile l’irruption du fatum dans le quotidien le plus banal. Un bel hommage à la résistance, malgré la dissymétrie des forces. Une œuvre nostalgique et poignante, d’une extraordinaire actualité car trente ans plus tard, le néolibéralisme triomphant n’a plus de ces pudeurs et frappe à visage découvert avec un cynisme arrogant.

 H.S. de François Salvaing aux éditions Arcane 17.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le  1er mai 2019. 

mercredi 24 avril 2019

Haine noire de Patrick Caujolle

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Nous sommes le premier Mai et Victor Rey lieutenant de police dans le 2° arrondissement de Paris entame une astreinte qu’il imagine ennuyeuse. Erreur, il va être confronté à un cambriolage plutôt inhabituel, puisqu’il s’agit d’un chantier de fouille archéologique préventive. L'objet du vol est peu banal puisu'il s'agit d'un cadavre, et pas n’importe quel cadavre. Il s’agit d’un pestiféré du XIV ème siècle. La mise en scène va le conduire à s’intéresser aux satanistes et conduire le jeune lieutenant de la capitale de France vers celle des Gaules. Là, sa piste se révèle plus dangereuse et grave que celle de quelques illuminés en noir, et va le conduire jusqu’à Toulouse….
Dans le même intervalle Céline Verger commandant à la Crim’ se voit confier l’affaire d’un corps décapité trouvé dans la Seine, et sa tête dans une benne à ordure d’un quartier chic. Quel lien entre ces deux affaires me direz-vous ? Pour le découvrir je vous incite à lire ce roman plein de rebondissements.


Magnifiquement maîtrisé le va-et-vient entre les deux récits construit insensiblement pour le lecteur une trame intrigante qui le pousse aux hypothèses les plus osées, souvent démenties par le résultats des enquêteurs, mais plus important encore l’immerge dans ce magma de poussées d'adrénaline et de crampe d’angoisse qui fait le quotidien des fonctionnaires de police. Ici pas de chichis, les états d'âme sont dévoilés sans honte ni fausse pudeur, et la victoire remportée sur le crime est une récompense parfaite.
Patrick Caujolle puise dans son expérience de policier les ingrédients savoureux qui pimentent ses romans, que ce soit dans la gouaille de ses héros du quotidien, comme dans la netteté des portraits de flics et des voyous, ou la précision chirurgicale des scènes de filature ou d’interpellation. Un vrai travail d’orfèvre qui n’est pas resté à quai.


Haine noire de Patrick Caujolle aux Éditions de Borée.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le  24 avril 2019.

mercredi 10 avril 2019

Les noisetiers du bout du monde, de Georges Patrick Gleize

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Nous sommes en 1912, la Belle Époque s’estompe lentement et les jours s’écoulent paisibles à Lavelanet en Ariège. Pierre Maurel, fils d’un garagiste de la petite ville, revient chez ses parents pour goûter des vacances bien méritées après avoir empoché brillamment un baccalauréat mathématiques. Ballades champêtres avec ses amis restés au pays, notamment Clémence son amie d’enfance secrètement amoureuse de lui, et immersion plaisante dans les activités du garage paternel constituent un divertissement bienvenu, en attendant la rentrée en classe préparatoire pour accéder à une École d’ingénieur. Une existence toute tracée se profile à l’horizon.
Mais, le conte idyllique s’enraye lorsque Pierre tombe follement amoureux de Mina, une lavandière de basse extraction, pour laquelle il va fréquenter les bals mal famés des environs de Lavelanet, au grand dam de ses parents et de Clémence. Mais le pire reste à venir, accusé du meurtre d’un homme lors d’un bal, le jeune homme doit fuir loin des siens. Il s’embarque pour les États Unis, bien décidé à revenir tôt ou tard pour prouver son innocence.
70 ans plus tard, Jacques Briant ingénieur aéronautique à la retraite reçoit une lettre de son beau-fils américain qui va réveiller des souvenirs profondément enfouis et le pousser à retrouver une certaine Clémence Naudy, qui dévoilera un secret bien gardé.
En fin connaisseur de l’Ariege et de son histoire Georges Patrick Gleize nous raconte, à travers  « Les noisetiers du bout du monde », cette terre et les changements qui l’affectent entre la première guerre mondiale et la seconde. En sa compagnie nous découvrons le quotidien des fileurs et tisseurs à domicile, mais aussi de tout un petit peuple de journaliers et d’ouvriers méprisés par les maîtres d’usines. Les grèves de 1926 férocement réprimées par des notables épouvantés, la montée du fascisme et la marche vers la guerre.
Avec son écriture précise Patrick-Georges Gleize nous fournit un tableau à la fois érudit et pénétrant de ce qui se joue dans cette belle contrée. Un livre riche qui ravira les amoureux d’histoire et les nostalgiques d’un monde maintenant disparu.

Les noisetiers du bout du monde, de Georges Patrick Gleize chez Calmann-Levy.

Cette chronique a été diffusée dans l'émission "Un jour, un livre, un auteur" sur Radio Présence Lourdes le 10 avril 2019.

samedi 26 janvier 2019

Les trois vies d'Eva, Sylvie Etche

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Elle a 20 ans, elle s’appelle Eva, elle a quitté le cocon familial pour vivre sa vie étudiante. Un studio, la liberté, le basculement vers l’âge adulte. Elliot est un voisin avec qui elle va se lier d’amitié, et peut-être plus. Ils sont vierges tous les deux, timides, cela va les rapprocher et tenter un premier embryon de vie à deux. Pourtant, la banalité du quotidien désespère Eva. C’est la rupture. Bien décidée à prendre sa vie en main et à se forger une solide expérience en attendant de rencontrer le Prince charmant, Eva multipliera les rencontres éphémères en un apprentissage riche et diversifié.
30 ans enfin le Prince charmant est entré dans la vie d’Eva. Il est beau, amant inventif, sensible, attentionné et ... riche aussi. Le bonheur enfin. Tout va pour le mieux jusqu’à ce que, comme il se doit dans toute histoire d’amour, elle ne découvre la face cachée. Cette pièce nichée au détour d’un couloir où se tapit une présence maléfique. Comme le dit si bien Nougaro : « le vilain mari tue toujours le Prince charmant ». Cependant Eva résistera de son mieux à cette ombre au tableau, qui rend amère sa vie malgré ses deux beaux enfants.
40 ans, l’acmé de l’existence. Lorsqu’on s’interroge en voyant que la première moitié de la vie est passée, sur ce que sera la seconde. Eva fait une rencontre improbable et s’engage résolument sur une nouvelle voie : croquer la vie à pleine dent est dans sa nature profonde.

Les trois vies d’Eva est un conte initiatique autant qu’un reflet de la liberté des années 90, cette histoire en trois temps capte le lecteur et ne le lâche pas jusqu’à la conclusion. L’écriture de Sylvie Etche est simple, refuse les effets de style et pourtant crée un style qui lui est propre. Direct, percutant. La narration souple, légère s’efface pour que le lecteur s’imprègne des péripéties d’Eva, il s’interroge avec elle, s’enthousiasme comme elle, devient elle. C’est là toute la force de ce beau roman.
Après « Le cri du Toucan » Sylvie Etche signe ici son deuxième roman. Un auteur à suivre.


Les trois vies d’Eva, Sylvie Etche, Édilivre.