Pour le néophyte la découverte d'un
bateau de croisière est un choc. Quand bien même aurait-il eu l'occasion
d'emprunter d'autres navires : bateau-mouche, ferry-boat nocturne il serait
désorienté et impressionné par ce
monde à part. Bien entendu l'effet n'est pas immédiat. Anesthésiés par les
effets conjugués de l'insomnie, du long voyage et du stress des transbordements
les sens enregistrent sans sourciller, remettant à plus tard la tâche de donner
du sens à tout ce perçu inédit. C'est ainsi que l'on sombre dans une sieste
réparatrice, bien que quelque part dans l'être le plus profond une part de
soi-même rechigne ainsi à différer la satisfaction de sa curiosité naturelle.
C'est une paire d'heures plus tard que le corps reposé et l'esprit tranquille
on peut partir à la découverte du bâtiment, muni du plan succinct qui
accompagne la carte multiservices trouvée dans la cabine d'une main et de
l'autre main du Diario di Bordo aimablement posé sur le secrétaire à notre
arrivée. Pourtant notre velléité sera vite cadrée par l'impératif de la réunion
d'accueil des passagers français qui se déroule une dizaine de minutes plus
tard au Théâtre Phoenix. En sortant nous faisons la connaissance de notre
steward Alan, mais il mérite mieux qu'une simple allusion entre la cabine et le
théâtre. Nous y reviendrons plus
tard.
La coursive, large à l'instar d'un
couloir d'hôtel, s'étire sur plusieurs dizaines de mètres de part et d'autre du
voyageur indécis. Sur un côté s'alignent régulièrement les portes, en bois
blond, frappées du numéro de la cabine dont le premier chiffre indique
traditionnellement le numéro de l'étage. 5275 telle est l'adresse que nous
occuperons durant cette semaine. La cloison opposée n'est percée que de
quelques ouvertures réservées majoritairement à l'équipage, et dont nous
découvrirons plus tard qu'elles occultent les locaux de service où
s'emmagasinent les produits d'entretien et linges de rechange. Derrière ces
portes anonymes, en bois elles aussi, le décor est autrement plus spartiate,
métal blanc nu pour les murs et étagères fonctionnelles en métal elles aussi.
Deux ou trois portes numérotées signalent aussi la présence de cabines sans
vue, les plus abordables financièrement. L'élégance de la décoration Art
Nouveau qui mêle bois, dorures et tapisserie reproduisant des peintures de
Kandinsky, l'épaisseur de la moquette que l'on foule, les lignes épurées des
appliques, tout cela concours à créer l'illusion d'être installés dans un grand
hôtel luxueux quelque part dans un lieu de villégiature huppé. D'ailleurs, bien
que le bateau compte 2800 passagers, soit sa capacité maximale, le silence
règne en maître et les rencontres dans ce couloir sont des plus rares. À tel
point que décor mis à part (pas de motifs champignon sur la moquette, pas de
fleurs surannées aux murs) on s'attend étrangement à voir surgir à toute allure
le petit Dany Torrance sur
son tricycle grinçant.
Tout à l'heure orientés par le
personnel d'accueil les nouveaux arrivants s'étaient contentés de suivre les
instructions et guidés par la signalétique étaient parvenus miraculeusement
dans leurs appartements. Maintenant, au contraire, il leur faut se déplacer en
toute autonomie. D'abord choisir quel sens du couloir emprunter. Mais cela
nécessite de décider de la direction respective de la proue et de la poupe. Un
court conciliabule et l'on choisit de suivre le même sens qu'à l'arrivée.
Effectivement au détour de la coursive s'ouvre le palier où quatre ascenseurs
attendent les voyageurs. L'unité de style est apaisante, sur les doubles
panneaux d'accès aux vastes cabines d'ascenseur la monotonie du bois vernis est
égaillée par les tracés jumeaux de lignes courbes dessinant une sorte de M doré
tout en rondeurs. Les mains courantes de l'escalier, qui jouxte le palier,
affichent les mêmes galbes où la main prend un plaisir sensuel à glisser sur la
surface polie. Aux murs des affiches Art Déco voisinent avec des copies de
Mucha ou de Klimt. Passées ses portes, l'ascenseur prolonge le luxe précédent
en un cocon feutré. Descente au second étage. Là, des panneaux affichent en
lettres et flèches orange les directions à suivre. On découvre alors la variété
de restaurants, bars et services disponibles. Sur le chemin du théâtre nous
traversons le casino, fermé car nous sommes à quai. Des groupes se dirigeant
dans le même sens que nous et parlant français nous confortent dans le choix de
l'itinéraire. De larges portes ouvertes laissent voir un escalier tout
enguirlandé de Leds puis, par une trouée dans les balustrades, nous apercevons
la scène en contrebas, éclairée et une petite jeune femme qui se prépare pour
son speech. C'est Laure le référent des francophones. Dans un court exposé
doublé d'une projection de power-point elle nous donne les principales
informations. Un peu moins ignorants nous quittons le théâtre et partons en
quête du restaurant où nous dînerons tout à l'heure. Il est encore un peu tôt,
même si nous mangeons au premier service. L'occasion de découvrir les trois
bars qui accueillent déjà nombre de couples ou familles. Un premier apéritif à
bord, en attendant l'heure de faire connaissance avec les autres convives de
notre table. Mais ceci est une autre histoire à venir. Un apéritif en musique,
l'interprétation à la guitare sèche de Wish you were here de Pink Floyd attire
notre attention sur le duo de musiciens, eux aussi vous les découvrirez plus
tard.
(À suivre)