samedi 27 août 2016

Episode 2 - Première exploration du navire.

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Pour le néophyte la découverte d'un bateau de croisière est un choc. Quand bien même aurait-il eu l'occasion d'emprunter d'autres navires : bateau-mouche, ferry-boat nocturne il serait désorienté et  impressionné par ce monde à part. Bien entendu l'effet n'est pas immédiat. Anesthésiés par les effets conjugués de l'insomnie, du long voyage et du stress des transbordements les sens enregistrent sans sourciller, remettant à plus tard la tâche de donner du sens à tout ce perçu inédit. C'est ainsi que l'on sombre dans une sieste réparatrice, bien que quelque part dans l'être le plus profond une part de soi-même rechigne ainsi à différer la satisfaction de sa curiosité naturelle. C'est une paire d'heures plus tard que le corps reposé et l'esprit tranquille on peut partir à la découverte du bâtiment, muni du plan succinct qui accompagne la carte multiservices trouvée dans la cabine d'une main et de l'autre main du Diario di Bordo aimablement posé sur le secrétaire à notre arrivée. Pourtant notre velléité sera vite cadrée par l'impératif de la réunion d'accueil des passagers français qui se déroule une dizaine de minutes plus tard au Théâtre Phoenix. En sortant nous faisons la connaissance de notre steward Alan, mais il mérite mieux qu'une simple allusion entre la cabine et le théâtre. Nous y reviendrons  plus tard.

La coursive, large à l'instar d'un couloir d'hôtel, s'étire sur plusieurs dizaines de mètres de part et d'autre du voyageur indécis. Sur un côté s'alignent régulièrement les portes, en bois blond, frappées du numéro de la cabine dont le premier chiffre indique traditionnellement le numéro de l'étage. 5275 telle est l'adresse que nous occuperons durant cette semaine. La cloison opposée n'est percée que de quelques ouvertures réservées majoritairement à l'équipage, et dont nous découvrirons plus tard qu'elles occultent les locaux de service où s'emmagasinent les produits d'entretien et linges de rechange. Derrière ces portes anonymes, en bois elles aussi, le décor est autrement plus spartiate, métal blanc nu pour les murs et étagères fonctionnelles en métal elles aussi. Deux ou trois portes numérotées signalent aussi la présence de cabines sans vue, les plus abordables financièrement. L'élégance de la décoration Art Nouveau qui mêle bois, dorures et tapisserie reproduisant des peintures de Kandinsky, l'épaisseur de la moquette que l'on foule, les lignes épurées des appliques, tout cela concours à créer l'illusion d'être installés dans un grand hôtel luxueux quelque part dans un lieu de villégiature huppé. D'ailleurs, bien que le bateau compte 2800 passagers, soit sa capacité maximale, le silence règne en maître et les rencontres dans ce couloir sont des plus rares. À tel point que décor mis à part (pas de motifs champignon sur la moquette, pas de fleurs surannées aux murs) on s'attend étrangement à voir surgir à toute allure le petit Dany Torrance sur son tricycle grinçant.

Tout à l'heure orientés par le personnel d'accueil les nouveaux arrivants s'étaient contentés de suivre les instructions et guidés par la signalétique étaient parvenus miraculeusement dans leurs appartements. Maintenant, au contraire, il leur faut se déplacer en toute autonomie. D'abord choisir quel sens du couloir emprunter. Mais cela nécessite de décider de la direction respective de la proue et de la poupe. Un court conciliabule et l'on choisit de suivre le même sens qu'à l'arrivée. Effectivement au détour de la coursive s'ouvre le palier où quatre ascenseurs attendent les voyageurs. L'unité de style est apaisante, sur les doubles panneaux d'accès aux vastes cabines d'ascenseur la monotonie du bois vernis est égaillée par les tracés jumeaux de lignes courbes dessinant une sorte de M doré tout en rondeurs. Les mains courantes de l'escalier, qui jouxte le palier, affichent les mêmes galbes où la main prend un plaisir sensuel à glisser sur la surface polie. Aux murs des affiches Art Déco voisinent avec des copies de Mucha ou de Klimt. Passées ses portes, l'ascenseur prolonge le luxe précédent en un cocon feutré. Descente au second étage. Là, des panneaux affichent en lettres et flèches orange les directions à suivre. On découvre alors la variété de restaurants, bars et services disponibles. Sur le chemin du théâtre nous traversons le casino, fermé car nous sommes à quai. Des groupes se dirigeant dans le même sens que nous et parlant français nous confortent dans le choix de l'itinéraire. De larges portes ouvertes laissent voir un escalier tout enguirlandé de Leds puis, par une trouée dans les balustrades, nous apercevons la scène en contrebas, éclairée et une petite jeune femme qui se prépare pour son speech. C'est Laure le référent des francophones. Dans un court exposé doublé d'une projection de power-point elle nous donne les principales informations. Un peu moins ignorants nous quittons le théâtre et partons en quête du restaurant où nous dînerons tout à l'heure. Il est encore un peu tôt, même si nous mangeons au premier service. L'occasion de découvrir les trois bars qui accueillent déjà nombre de couples ou familles. Un premier apéritif à bord, en attendant l'heure de faire connaissance avec les autres convives de notre table. Mais ceci est une autre histoire à venir. Un apéritif en musique, l'interprétation à la guitare sèche de Wish you were here de Pink Floyd attire notre attention sur le duo de musiciens, eux aussi vous les découvrirez plus tard.

(À suivre)


mardi 23 août 2016

Épisode 1. De Toulouse à Stockholm.


La nuit est encore profonde, l'autoroute file sous la nappe de lumière des phares de la limousine. Il est trop tôt pour que les rares voitures dans les deux sens de la chaussée conduisent leurs occupants au travail, plus vraisemblablement ramènent-elles au foyer des noctambules sortant de discothèque. Après les chaudes journées précédentes l'air nocturne conserve cette tiédeur particulière des nuits tropicales, pourtant le sommeil bref -trop tard entamé trop brusquement interrompu par la sonnerie du réveil- fait remonter des frissons le long du dos et pose une amertume âcre dans la bouche. Un goût semblable au mélange réitéré du café trop acide avec du tabac froid. Le goût indescriptible des nuits blanches où le temps s'éternise pour le voyageur inconfortablement assis sur un fauteuil brinquebalé. Cette saveur que seul l'habitué des longs trajets nocturnes éprouve dans sa chair, indissociable du picotement des yeux et de la sensation de froid que le chauffage poussé à fond ne réussit pas à conjurer. La nuit tiède enveloppe le voyageur somnolant d'un cocon ouaté, la faible lueur du croissant de lune est submergée par les dizaines de lampadaires qui rythment les accès à l'aérogare, mais à cette heure incongrue règne un silence précaire seulement troublé par les moteurs des véhicules déposant les futurs passagers.

L'aérogare bruisse déjà de dizaines de conversations feutrées et du crissement des roulettes de valises ou caddies de transport. Les formalités d'usage achevées, une longue file humaine s'achemine avec plus ou moins de célérité vers la porte d'embarquement. Passée la passerelle il faut franchir encore le seuil de l'aéronef. On piétine dans le long couloir à la recherche de son siège. Enfin assis l'attente anxieuse commence tandis que l'équipage donne les instructions de sécurité. Le sifflement sourd de l'APU* est rapidement couvert par le grondement rauque des réacteurs. L'avion est désormais en bout de piste, piaffant d'impatience tandis que le pilote attend l'autorisation de décoller. Ça y est, le lourd oiseau roule maladroitement sur la piste, le train transmet les irrégularités du bitume en un tressautement pénible, puis soudain ne restent plus que les vibrations des roues tournant dans le vide, suivies du clac caractéristique de la fermeture des trappes ayant englouti les trois structures de roulage. Collé à son siège, le passager s'il ressent la puissance de l'oiseau métallique perd tout repère. Seule la vue par l'étroit hublot de l'inclinaison étonnante de l'horizon lui fait prendre conscience que l'avion se cabre fortement vers le zénith. Les secondes s'égrènent longuement durant cette étourdissante ascension jusqu'à ce que l'éclat rougeoyant qui enflamme l'horizon oblique trahisse l'altitude vertigineuse atteinte. Quelques instants plus tard le premier rayon de soleil darde ses flèches rubis à travers la cabine en un jour écarlate naissant, alors que 10 000 mètres plus bas les ténèbres couvrent encore les villes et campagnes paisiblement endormies.

C'est entre le dôme d'un bleu profond, caractéristique de ces hautes altitudes, et une vaste mer de nuages, que surplombe l'appareil depuis la mi-voyage, que s'amorce la descente. Progressivement une brume grise occulte les hublots, tandis que les moteurs sifflent dans leur effort pour contrer les turbulences qui font vaciller les passagers. De temps à autre une déchirure parmi les nuages permet d'apercevoir la campagne suédoise. Progressivement le paysage se précise, les tâches vert foncé deviennent des petites forêts, les étendues vert clair des champs et les échiquiers multicolores des villages, puis les abords d'une grande ville. Voici, enfin, des routes, une ligne électrique, l'habitat qui s'individualise. La piste ne doit plus être loin. Par des trouées dans les nuages s'engouffre le soleil, projetant par moments l'ombre immense de l'avion sur le sol. Soudain le bitume monte vers le hublot, les marques au sol s'accélèrent, les ailerons se dressent et les réacteurs rugissent. Le petit choc qui marque le contact des pneumatiques avec la piste. Nous roulons assourdis par le vacarme des moteurs qui, inversés, freinent au maximum l'aéronef. Enfin le silence qui retombe, l'attente que la porte s'ouvre et libère les passagers.

Une foule en mouvement qui serpente le long du dédale de couloirs. Le hall d'arrivée où quelques individus, des deux sexes, arborant des pancartes multicolores, organisent le flot chaotique en groupes compacts aiguillés vers les navettes respectives. Déambulation encore sur les trottoirs bordant l'aérogare jusqu'au bus qui nous est attribué. Le véhicule s'ébranle, direction le port. Le paysage défile, surabondance de forêt que trouent les façades en bois de maisons coquettes. Puis les immeubles envahissent l'espace, l'autoroute traverse des zones commerciales. Stockholm ne déroge aucunement à l'universelle organisation spatiale des métropoles modernes. Au loin apparaissent les silhouettes caractéristiques des grues portuaires dominant de longs hangars. Sans erreur possible nous approchons du lieu d'embarquement, derrière les bâtiments bas se profilent les formes des vaisseaux attendant leurs occupants. Les futurs passagers tentent vainement de repérer celui qui sera leur lieu de vie lors de la semaine suivante. Soudain, au détour d'un énième hangar se dresse la façade imposante d'une haute bâtisse, dont le blanc éclatant se tempère du vert translucide des balcons. Plusieurs secondes s'écoulent avant que chacun comprenne qu'il ne s'agit pas d'un immeuble mais bel et bien du navire dont il foulera les ponts et coursives quelques minutes plus tard. Check-point, photo d'identification et couloirs matérialisés par des plots mobiles et rubans extensibles constituent une sorte de jeu de piste initiatique auquel chacun est convié avant de pouvoir accéder à la nouvelle aventure. Nous voici enfin prêts à franchir la passerelle de coupé, accueillis par Kiki qui nous fait une époustouflante démonstration de chevelure rotative en guise de bienvenue. Le hall d'entrée tout de palissandre et dorures, l'ascenseur, la longue coursive qui conduit à la cabine. Et là le soupir de soulagement, la tension qui retombe. On est arrivé à bon port et désormais les plaisirs de la croisière nous attendent.

(à suivre)

* APU (Auxiliary Power Unit) : générateur qui fournit l'électricité et l'air sous pression nécessaires à un avion du décollage à l'atterrissage.