samedi 21 mars 2020

Le sanctuaire des oubliés, Yves Carchon.


Lorsque votre travail consiste à rajeunir de vieilles photos défraîchies, le hasard peut parfois bousculer votre vie. Mais est-ce bien un hasard qui place entre les mains de Lucas Delmont cette vieille photo qui lui révèle le visage de Lola Delavigne son amour perdu vingt ans plus tôt ? Pour en avoir le cœur net, Lucas va donc faire un pèlerinage vers sa jeunesse à Barcelone. À partir de la vieille librairie aux Temps anciens appartenant à la jeune femme, aujourd’hui abandonnée avec tous ses vieux livres et l’extraordinaire bric-à-brac que sa propriétaire y amoncelait, Lucas va partir en quête de celle qu’il aime toujours au long d’un étrange périple dans la capitale catalane. Ce périple s’avérera une véritable chasse au Trésor qui au fil des étapes révélera les nombreux secrets que Lola gardait au plus profond de son cœur.

C’est à un récit onirique qu’Yves Carchon nous convie ici, bien loin de la noirceur réaliste de ses précédents opus. Il faut dire que Barcelone dégage derrière sa bonhomie méditerranéenne une aura de mystère qu’accentue la langueur de ses quartiers si différents : Barri Gotíc, Montjuic, façades Art Nouveau tout concours à une ambiance trouble, comme si chaque pierre protégeait un sortilège. Une sorte de conte moderne, et qui dit conte dit auxiliaires de mission, ici ils s'appellent : Dolores Marquez, Joaquim Escribà, Miquel Befaràs, Osip Abecassis, Isidora Zaplana,  Ignasi Puig. Autant de témoins hors d’âge, autant de complices dans ce cheminement.

Tout l’art de l’auteur se déploie pour poser cette ambiance de réalisme magique. L’écriture est belle, légère, précise. En le lisant on ne peut s'empêcher de penser à Edgar Alan Poë, ou au Pérez Reverte de la Neuvième Porte. Un roman noir à déguster voluptueusement.





Le sanctuaire des oubliés, Yves Carchon, Éditions Cairn.

Cyber Games, Mark Zellweger


Qu’y a-t-il de commun entre une panne d’électricité à Oxford, l’enlèvement d’un ancien hacker travaillant désormais pour le Sword, service de renseignements indépendant installé en Suisse, le déraillement d’un train de marchandises transportant des matières sensibles au Canada, le crash du prototype d’un chasseur russe près de Moscou, puis celui d’un chasseur F-35B américain quelques jours plus tard ? Et pour quelle raison Pierre Bailly un ancien agent de la DGSE qui coule une retraite paisible au Maroc voit-il soudain réapparaître des barbouzes décidés à le tuer ?

C’est à une quête haletante de la vérité que nous convie Mark Zellweger, auteur helvétique rompu aux arcanes des services de renseignements et à leurs raisons d’état. Dans une écriture dépouillée l’auteur nous projette d’Oxford à Genève, du Maroc au cœur de l’Afrique noire, du Quatar à Tahiti en une course contre la montre, ou plutôt une course pour la survie. Si le Sword est au cœur de l’intrigue, le mobile de ces catastrophes en chaîne est, comme il se doit, soigneusement tapis derrière une suite de décors offrant autant de camouflages qui nécessitent une minutieuse mise en perspective pour ne pas s’y perdre. Un roman gigogne qui ravira les amateurs d’espionnage et ceux de thrillers.






Cyber Games, Mark Zellweger Éditions Eaux troubles.

Pris dans la toile, Cécile Callan.


Lorène Vivarelli, jeune artiste peintre de talent qui purge une peine de prison pour contrefaçon se voit proposer la liberté et la possibilité de recommencer sa vie en échange de son aide auprès du capitaine Nowak de la brigade mondaine. L’objectif de cette collaboration improbable : identifier un dangereux chef de réseau pédophile et libérer deux petites filles qu’il a enlevées quelques jours plus tôt. Deux seuls indices pour les enquêteurs : il est amateur d’art et chirurgien. C’est ainsi que de Biarritz à Florence, de Paris à Nice nos deux protagonistes devront composer avec le caractère de l’autre. Il faudra beaucoup de patience au taciturne Nowak pour supporter les états d’âme de l'imprévisible Vivarelli, et beaucoup de courage à celle-ci pour surmonter sa répugnance des flics et l’angoisse de cette traque dangereuse.

Cécile Callan signe ici un thriller charpenté qui oscillant entre les pensées des deux protagonistes principaux nous révèle par petites touches les blessures et les faiblesses de chacun. L’auteur développe avec érudition les enjeux techniques et les arcanes de la création picturale tout en ouvrant des pistes subsidiaires pour mieux perdre le lecteur dans un tableau où les plans se superposent dans des trompe-l’oeil dignes des grands maîtres de la Renaissance.
À déguster voluptueusement tout en sirotant un bon verre de Limoncello bien frappé.




Pris dans la toile, Cécile Callan aux Éditions Lucane.

vendredi 20 mars 2020

La compagnie des louves, Florence Rhodes


Elles sont quatre. Quatre femmes dans la quarantaine. Quatre amies d’enfance : Clara directrice d’une grande agence publicitaire, Clémence artiste dépressive, Maud chef de cabinet du ministre des finances et Denise femme au foyer. Elles sont inséparables affrontant en commun les aléas de l’existence comme les moments joyeux. Et ces quatre-là  personnifient à  merveille la devise des 3 Mousquetaires : Un pour tous, tous pour un. À tel point que maris ou enfants suivent le mouvement tels des pièces rapportées. Ce sont elles la Compagnie des louves. Jusqu’à ce jour de début janvier où Édouard le mari de Denise est sauvagement assassiné dans les cuisines de son restaurant à la mode. L'enquête est confiée au commandant Abel Hamelin qui avec son groupe d’enquêteurs va tenter d’identifier le coupable.
Raconté ainsi, on aurait l’impression d’un énième polar bien sage. En fait très rapidement le lecteur va plonger dans la complexité de ces différents personnages qui tous ont une part d’ombre à protéger, que ce soient les suspects comme les policiers. La belle amitié exclusive des « louves » est fragile, les rancœurs, les suspicions l’assaillent comme l’océan une falaise. La calme froideur d’Hamelin cache un secret douloureux qui le crucifie. Les enfants eux-mêmes sont loin de l’innocence attendue.

Avec ce premier roman, Florence Rhodes fait une entrée remarquée dans l’univers du roman noir, puisqu’elle vient d’être couronnée du prix Dora-Suarez. L’auteur multiplie les points de vue sur le moment crucial qui semble avoir noué le drame, elle explore d’une plume incisive les fêlures de chaque protagoniste, les petites peurs et les grandes angoisses métaphysiques. Le style est alerte, le rythme soutenu par un découpage précis comme la scansion d’une épopée homérique. Il y a du sang, du sexe et de la haine. Si le meurtre inaugural de cette Compagnie des louves ouvre la boîte de Pandore, Florence Rhodes ne déroge pas au mythe. Elle pose, bien caché derrière toute cette noirceur, un fragile espoir.




La compagnie des louves, Florence Rhodes aux éditions Caïman.

Après les chiens, Michèle Pedinielli


Nice de nos jours. Ghjulia Boccanera, dite Dioulia, détective privée qui vit un moment difficile après une agression, tombe sur le cadavre d’un jeune africain lors d’un jogging matinal. L’enquête est confiée au commandant Santucci, son ex-compagnon, qui lui conseille de s'occuper d'autre chose que de faire sa propre recherche de son côté. Heureusement pour Dioulia la mère d’une adolescente en fugue lui confie le soin de la retrouver. La découverte fortuite d’une chienne maltraitée va inciter Klara et Dagmar, un couple d’amies de Dioulia, vétérinaires à rechercher l’élevage sauvage  où l'animal a été martyrisé. De rencontres en tentatives d’intimidation, la détective réussira-t-elle à démêler les fils d’une enquête qui semble mélanger les trois histoires?

Michèle Pedinielli nous offre avec ce roman des retrouvailles avec son héroïne Dioulia, confrontée aux violences xénophobes qui frappent les malheureux réfugiés qui fuient les guerres.  Dans ce récit suprémacistes blancs, petits blancs aigris et voyous sans envergure tentent de contrer le travail de centaines de bénévoles mus par la compassion et l'esprit de justice. Se détachent alors les figures de Roger, le Maître, et de Marguerite d'un côté, de Melody adolescente paumée, d’une vedette de télé-réalité et de son frère de l’autre.

L’écriture est alerte, presque fiévreuse parfois. Elle accroche le lecteur dans cette quête désespérée et étouffante qui se déroule dans les paysages grandioses de Nice et ses environs. Le soleil et les plages cachent bien des noirceurs, le cliché mièvre d'une Côte d’Azur idyllique couvre pudiquement une violence latente. Un beau roman sur la justice et le besoin de ne jamais céder face à l’ignominie.









Après les chiens, Michèle Pedinielli aux Éditions l’Aube noire.