vendredi 7 décembre 2012

En route pour La Rochelle !


 Il fait encore nuit noire à Nancy quand le TGV s’élance. La ville se recroqueville sous le froid intense qui fait briller les chaussées verglacées. La neige annoncée n’est pas encore au rendez-vous, mais elle avance inexorablement vers l’Est. Pour l’heure, elle couvre généreusement les limites entre Lorraine et Champagne. Les passagers somnolent, malgré les lumières vives qui inondent le wagon. Quelques conversations feutrées constituent un arrière-fond monotone. Les double vitrages renvoient l’image de la cabine, miroir déformant qui occulte pour l’instant le paysage à travers lequel nous roulons rapidement. Paradoxalement, malgré la vitesse, le temps s’écoule au ralenti. Peu à peu, le jour levant brouille nos images de passagers inertes par des fulgurances sombres qui rayent le miroir de nos fenêtres. Puis la luminosité augmentant, le fond blanchâtre sur lequel surnagent nos images s’avère n’être que l’épais rideau de flocons tombant sur le décor qui nous accueille. Enfin, nos yeux, accoutumés à la faible lueur qui règne, nous montrent le lourd manteau de neige qui couvre la campagne à perte de vue. Par instant, retentit le claquement violent des congères qui, se détachant de la carrosserie profilée du bolide qui nous emmène, ricochent entre voie et châssis. Le bruit sec, qui fait sursauter les passagers, se répète à plusieurs reprises en baissant d’intensité, au fur et à mesure que les débris de glace reculent le long du serpent de métal qui file à toute allure.
Voici déjà la banlieue de Paris baignée d’une clarté glauque. Ici le manteau neigeux fond déjà, ce qui n’empêche pas le flot dense des voitures d’engorger les routes. Nous regardons, un rien condescendants, cet amas qui piétine de feu en feu. Le suave balancement de la rame fait place aux saccades inopinées que suscitent les changements d’aiguillages. Cette fois, c’est certain Paris approche. Ce rythme syncopé, ces crissements aigus sont le signe indubitable que nous approchons de la gare. Voici la Cité de la Musique, plus loin émerge la géode de la Cité des Sciences. Partout des immeubles résidentiels écrasent les avenues pourtant larges. Bienvenue à Babylone.
Le TGV vomit la foule de voyageurs sans discontinuer. Le millier de silhouettes noires submergent les quais de la gare de l’Est, tel un raz-de-marée. Et comme un fleuve humain, le flot ininterrompu se divise en multiples bras qui s’engouffrent dans chacune des issues ouvertes sur la salle des pas-perdus ; vers les stations de taxi pour les uns, vers les grilles donnant sur les trottoirs pour d’autres, en direction des tourniquets du métro pour les derniers. Le flot avance, une partie refluant vers les guichets violemment éclairés, tandis que l’autre traverse les portillons et se divise au gré des indications de couleurs criardes. Les couloirs succèdent aux escaliers. Mais toujours la même odeur. Odeur indéfinissable. Odeur si caractéristique, pourtant. L’odeur de métro, chaude, âcre malgré un fond d’épices inconnus. Modulée par les mouvements de l’air. En se laissant aller on pourrait la croire émanant d’un monstre souterrain, dont ce serait l’haleine nous frappant au gré de sa respiration. Et le grondement sourd qui fait trembler sol et murs des couloirs, serait sa voix caverneuse réclamant une nouvelle ration d’humains pour calmer son appétit insatiable.
Un peu plus tard... Un rayon de soleil insolent déchire les nuages et inonde de sa gaité la cabine du TGV qui démarre vers La Rochelle. Plus nous avançons vers l’océan, plus le ciel se dégage. Oubliée la grisaille, enfouis comme de mauvais rêves le givre et la neige. Le train nous transporte de l’hiver profond vers un automne de plus en plus jeune. Ce sont les arbres aux branches faméliques qui s’espacent parmi des milliers de futaies encore couvertes de feuilles fauves. Plus loin surgissent, inopinément, de larges brassées de boules de viburnum immaculées, scintillantes sous un soleil désormais vainqueur des nuages. La lumière est juvénile, impériale. L’impression d’aller vers l’été. Nous entrons en gare lentement. Le ciel est toujours vierge, la lumière presqu’aveuglante. À la descente, l’atmosphère paraît printanière, chargée de flaveurs entêtantes. Seulement quelques heures plus tôt, c’était l’hiver.

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