Un
après-midi de fin juin, la chaleur est étouffante comme souvent en cette
période de début d’été. Bien que la météo ait annoncé 22 degrés, il est fort
probable que les thermomètres disséminés aux quatre coins de la capitale
affichent plus de 30. Pas un souffle ne vient égaliser la température de l’air.
Le passant désœuvré erre d’îlots de fraicheur éphémère en puits de chaleur
insoutenable, au gré de ses rencontres avec une porte cochère largement ouverte
sur l’ombre salvatrice d’un hall d’immeuble haussmannien ou d’un coin
d’asphalte sur lequel se déversent les implacables rayons du soleil estival.
Sur les larges artères le flot de véhicules s’écoule avec lenteur, cédant le
passage à des grappes de touristes harassés. Les trottoirs pullulent de
silhouettes aux déplacements apparemment chaotiques, foule anonyme dont les
individus aux regards morts se croisent, s’évitent, par on ne sait quel
miracle. L’agitation normale d’une capitale se développe ici sous les yeux du
visiteur curieux. Les avenues s’étirent à perte de vue, leurs perspectives
closes par une brume de chaleur qui s’étale tel un rideau d’un gris azur
délavé. Les façades s’élèvent comme des falaises inaccessibles. Une partie
d’entre elles seulement portent les marques caractéristiques du XIXème siècle
triomphant, les autres soulignent le talent de Gilles Marie Oppenord ou Victor
Louis. Mais toutes surplombent hiératiquement la cohue mêlée de voitures et de
piétons affairés. Ici ou là, s’ouvre un boyau d’où émane une fraicheur
revigorante. Si, d’aventure, l’envie vous prend d’y pénétrer vous découvrez
alors – au bout d’un parcours sinueux au cœur des immeubles – la longue
esplanade verdoyante d’un jardin.
Passés
les premiers mètres du boyau, le contraste est saisissant entre le continuel
bruit de fond de la ville et le silence profond qui lentement enveloppe
l’explorateur curieux. S’il s’enhardi a poursuivre sa marche, il atteindra une
longue colonnade qui ceint les quatre côtés d’une vaste cour. S’offre à lui,
alors, le choix de musarder au long des échoppes pluri-centenaires qui de
devantures surannées où le temps semble s’être figé définitivement, en vitrines
austères rehaussant l’exposition de produits d’avant garde engourdissent son
esprit, en une hypnose étrange. Alors que quelques rues – siècles ? – plus
loin s’étale un luxe tapageur ; ici la stase temporelle amortit la rupture
et permet de glisser sans angoisse entre des créations passées d’âge ou
franchement innovantes. Osez pousser la porte de ce cabinet sombre, aux tons
surlignés de rose et de bleu que rehaussent des soleils et des lunes désuets.
Vous serez accueillis par les fragrances musquées de parfums introuvables
ailleurs. Les comptoirs de bois ouvragé ceignent la salle, des miroirs tâchés
par les ans renvoient l’image incertaine d’étagères et de semainiers
mystérieux, tandis qu’une femme à l’âge indiscernable chuchote des secrets
inavouables au couple médusé qui vous a précédé. Vous patientez. Lorsqu’enfin
le couple quitte l’échoppe l’angoisse vous étreint brièvement, jusqu’à ce que
votre hôtesse de sa voix susurrante vous subjugue à votre tour.
Plus
tard, vous prenez place sur l’un des bancs à la couleur verte si familière. Là,
sous la double rangée de tilleuls, vous vous abandonnez à une fausse
somnolence. Les yeux mi-clos vous percevez distinctement le gargouillis liquide
du jet qui égaye le bassin central. À votre droite quelques joueurs de boules
discutent doctement du comportement de leurs projectiles. Plus près, presqu’en
face, une maman converse à mi-voix avec deux enfants qui jouent à ses côtés.
Plus loin, la conversation polyglotte des nurses en uniforme bleu et blanc
s’émaille de remarques suaves vis-à-vis des gamins dont elles assurent la
garde. L’air bruisse de quelques insectes, dont la présence semble saugrenue en
plein cœur de Paris. Les senteurs lourdes des tilleuls et des jasmins vous
assaillent par moments, charriées par quelque saute de vent mutin. Tout est
calme. Une douceur étonnante s’insinue en vous. Sans que vous y preniez garde,
la saveur nostalgique d’une enfance échappée vous submerge. Des bribes de
sentiments béats traversent vôtre âme. Sans prévenir, le goût de la madeleine
vous terrasse aussi. Le cœur au bord de l’effondrement, on resterait là,
désormais. Plongé voluptueusement dans ces faux souvenirs d’une époque
insouciante. Et les larmes viennent aux yeux en constatant que le temps du
bonheur est bel et bien révolu.
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