dimanche 29 juin 2014

Les Jardins du Palais Royal

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Un après-midi de fin juin, la chaleur est étouffante comme souvent en cette période de début d’été. Bien que la météo ait annoncé 22 degrés, il est fort probable que les thermomètres disséminés aux quatre coins de la capitale affichent plus de 30. Pas un souffle ne vient égaliser la température de l’air. Le passant désœuvré erre d’îlots de fraicheur éphémère en puits de chaleur insoutenable, au gré de ses rencontres avec une porte cochère largement ouverte sur l’ombre salvatrice d’un hall d’immeuble haussmannien ou d’un coin d’asphalte sur lequel se déversent les implacables rayons du soleil estival. Sur les larges artères le flot de véhicules s’écoule avec lenteur, cédant le passage à des grappes de touristes harassés. Les trottoirs pullulent de silhouettes aux déplacements apparemment chaotiques, foule anonyme dont les individus aux regards morts se croisent, s’évitent, par on ne sait quel miracle. L’agitation normale d’une capitale se développe ici sous les yeux du visiteur curieux. Les avenues s’étirent à perte de vue, leurs perspectives closes par une brume de chaleur qui s’étale tel un rideau d’un gris azur délavé. Les façades s’élèvent comme des falaises inaccessibles. Une partie d’entre elles seulement portent les marques caractéristiques du XIXème siècle triomphant, les autres soulignent le talent de Gilles Marie Oppenord ou Victor Louis. Mais toutes surplombent hiératiquement la cohue mêlée de voitures et de piétons affairés. Ici ou là, s’ouvre un boyau d’où émane une fraicheur revigorante. Si, d’aventure, l’envie vous prend d’y pénétrer vous découvrez alors – au bout d’un parcours sinueux au cœur des immeubles – la longue esplanade verdoyante d’un jardin.

Passés les premiers mètres du boyau, le contraste est saisissant entre le continuel bruit de fond de la ville et le silence profond qui lentement enveloppe l’explorateur curieux. S’il s’enhardi a poursuivre sa marche, il atteindra une longue colonnade qui ceint les quatre côtés d’une vaste cour. S’offre à lui, alors, le choix de musarder au long des échoppes pluri-centenaires qui de devantures surannées où le temps semble s’être figé définitivement, en vitrines austères rehaussant l’exposition de produits d’avant garde engourdissent son esprit, en une hypnose étrange. Alors que quelques rues – siècles ? – plus loin s’étale un luxe tapageur ; ici la stase temporelle amortit la rupture et permet de glisser sans angoisse entre des créations passées d’âge ou franchement innovantes. Osez pousser la porte de ce cabinet sombre, aux tons surlignés de rose et de bleu que rehaussent des soleils et des lunes désuets. Vous serez accueillis par les fragrances musquées de parfums introuvables ailleurs. Les comptoirs de bois ouvragé ceignent la salle, des miroirs tâchés par les ans renvoient l’image incertaine d’étagères et de semainiers mystérieux, tandis qu’une femme à l’âge indiscernable chuchote des secrets inavouables au couple médusé qui vous a précédé. Vous patientez. Lorsqu’enfin le couple quitte l’échoppe l’angoisse vous étreint brièvement, jusqu’à ce que votre hôtesse de sa voix susurrante vous subjugue à votre tour.

Plus tard, vous prenez place sur l’un des bancs à la couleur verte si familière. Là, sous la double rangée de tilleuls, vous vous abandonnez à une fausse somnolence. Les yeux mi-clos vous percevez distinctement le gargouillis liquide du jet qui égaye le bassin central. À votre droite quelques joueurs de boules discutent doctement du comportement de leurs projectiles. Plus près, presqu’en face, une maman converse à mi-voix avec deux enfants qui jouent à ses côtés. Plus loin, la conversation polyglotte des nurses en uniforme bleu et blanc s’émaille de remarques suaves vis-à-vis des gamins dont elles assurent la garde. L’air bruisse de quelques insectes, dont la présence semble saugrenue en plein cœur de Paris. Les senteurs lourdes des tilleuls et des jasmins vous assaillent par moments, charriées par quelque saute de vent mutin. Tout est calme. Une douceur étonnante s’insinue en vous. Sans que vous y preniez garde, la saveur nostalgique d’une enfance échappée vous submerge. Des bribes de sentiments béats traversent vôtre âme. Sans prévenir, le goût de la madeleine vous terrasse aussi. Le cœur au bord de l’effondrement, on resterait là, désormais. Plongé voluptueusement dans ces faux souvenirs d’une époque insouciante. Et les larmes viennent aux yeux en constatant que le temps du bonheur est bel et bien révolu.

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