Premières impressions. Muraille rose qui s'incurve au pied de l'éperon rocheux. Balcon d'asphalte qui le toise, avant de filer en une ligne serpentine le long des vestiges du mur d'enceinte de l'ancienne colonie romaine. Tarraco se dérobe a nos regards. La longue avenue écrasée de soleil que nous reprenons, après avoir visité l'amphithéâtre dont ne subsistent que des ruines imposantes, suit le tracé des murailles romaines sur lesquelles se haussent hardiment des immeubles de toutes époques. Soudain, la route vire à droite et plonge vers la mer entre deux murs de verdure. Cactus, palmiers, bouquets de camélias, bosquets de roses multicolores construisent des écrins rafraîchissants à de superbes villas. Depuis la route, nous les voyons défiler sans parvenir à définir, de façon certaine, leur style. Façades chaulées d'ocre, impostes ouvragées, encadrements de fenêtres de calcaire blanc ouvragé, portes massives festonnées de fer forgé. S'agit-il de maisons moyenâgeuses parvenues jusqu'à nous ou de folies d'architectes émules de Violet-Leduc ? Les volets occultent les vantaux, cherchant à procurer un minimum de fraîcheur a l'intérieur des demeures. La chaleur est torride, l'atmosphère pesante semble figer toute chose pour l'éternité. L'immobilité est quasi totale, le silence profond n'est troublé que par le crissement entêtant des cigales, ou rarement par le vrombissement rapide d'une abeille égarée. Seul le mouvement ondoyant de l'air anime la scène qui s'offre à nos regards.
Ailleurs, dans la Tarragone d'aujourd'hui. Longue rambla qui trace son sillon rectiligne entre les immeubles modernistes. L'agitation classique d'une ville, cohorte de voitures et scooter qui se disputent la chaussée et, à peine un mètre plus loin, piétons pressés qui slaloment adroitement parmi les touristes nonchalants. Au centre de la trouée minérale, modérant son aridité fonctionnelle, se coule un terreplein herbeux ponctué d'arbres ombreux. Étrangement, ce havre de fraîcheur est quasiment abandonné aux pigeons et passereaux. Les rares kiosques qui s'y dressent affichent la mine triste des commerçants qui guettent le chaland. La monotonie de la tranchée urbaine cesse soudain en un éblouissement fulgurant. L'air de rien, votre pas las vous a mené jusqu'aux quelques marches qui closent la rambla. Elles débouchent sur une plateforme totalement dégagée : la porte de la Méditerranée. Émerveillé, vous découvrez un panorama où se perd votre regard. Le bleu intense de la mer vous engloutit, jusqu'à l'horizon ce n'est qu'une surface étale, d'un bleu inexprimable qui vous émeut. Au-delà s'étirent les masses brisées de la Costa Daurada. Si vous avez la patience d'observer le tapis bleu à vos pieds vous découvrirez, alors, que de larges taches turquoise s'étirent, dessinant des formes étranges au sein de la masse liquide.
Autre moment, plus haut, retour au passé. Entre le fer à cheval de fortifications obsolètes se love la ville médiévale dominée par la silhouette imposante de la cathédrale. A quelques pas s'élève le palais archiépiscopal, riche bâtisse témoignant de la puissance des seigneurs archevêques, alliés sourcilleux des rois d'Aragon et de Catalogne. A un jet de pierre s'ouvre le riche portail du collège épiscopal qui souligne qu'à côté du pouvoir spirituel et temporel, les archevêques détiennent aussi celui du savoir. Époque rude d'affrontements multiples, époque paradoxale aussi où Princes chrétiens et Émirs musulmans se font la guerre, tout en s'échangeant leurs érudits les plus éminents. Adossé à la cathédrale, le cloître des chanoines est un havre floral. Entre les trois vastes édifices et la vella rambla s'étirent paresseusement des dizaines de ruelles étroites, que les hautes façades plongent dans l'ombre bienfaisante. Le voyageur pourra s'y perdre au gré de ses humeurs. On imagine sans peine, que les immeubles récents ont à peine modifié l'architecture initiale des insulae antiques : murs de petites briques en terre glaise cuite au soleil, minuscules fenêtres aux persiennes de roseaux, fils d'étendage chargés de linge entre des potences rouillées. Même les couleurs des murs semblent remonter à l'antiquité tant les tons pastels paraissent délavés. Il flotte des odeurs de cuisine, où l'ail le dispute au poivron. Parfois, la pénombre rafraîchissante est trouée par la torride clarté d'une place pavée, d'où émergent des vestiges romains. Ici, les passants rasent les murs à la recherche d'une trace d'ombre. Mais, en général les ruelles s'achèvent sur l'îlot décalé d'une rue transversale.
Voilà que la journée s'achève, les chaises fleurissent aux portes des maisons, des vieux édentés s'interpellent d'un côté à l'autre de la rue. La nuit tombe doucement, l'odeur d'anis emplit l'air vespéral... Il est temps de partir, une étrange nostalgie au fond du cœur.
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