Pour un auteur il y a un plaisir certain à être invité à la Fête de l'Huma. D'abord parce qu'il s'agit d'un très large rassemblement de personnes dont il peut espérer toucher la curiosité. Ensuite parce que c'est l'événement le plus important de la rentrée, sur le plan politique certes, mais aussi sur le plan culturel. Il y a un mélange d'anxiété, bien compréhensible, et d'excitation presque enfantine au moment de concrétiser ce qui au départ n'était qu'une proposition abstraite de la directrice d'édition.
Soleil éblouissant a la descente du RER. A la gare du Bourget l'organisation est impeccable. Panneaux d'affichages dirigeant la marée humain, qui se déverse de la noria de trains, vers le parking transformé en plateforme d'embarquement, où patientent des navettes. Service d'ordre bon enfant qui veille à ce que la foule suive bien les couloirs zigzagants matérialisés par des barrières mobiles. Nuée d'agents RATP qui organisent la montée et le départ des bus gratuits. Militants goguenards proposant les vignettes d'entrée au tarif préférentiel à ceux qui n'ont pas pris la précaution de venir équipés. Dame ! À la billetterie il en coûtera dix euros de plus. Il est encore tôt et la gourmandise de l'écrivain prend le dessus. Réfrénant mon élan, je m'installe dans un coin pour observer la masse de gens qui marche hardiment vers les véhicules.
En ce premier jour de la fête, ce qui frappe c'est la jeunesse de cette foule. L'a priori faisait attendre plutôt des militants d'âge moyen, et voici que débarquent des centaines de jeunes femmes et hommes, la vingtaine insouciante. Par grappes joyeuses, ils traînent un attirail de campeurs qui n'aurait pas déparé en 1936 pour l'inauguration des premiers congés payés. Foule bigarrée, bavarde s'interpellant pour lier connaissance. Et parmi ces groupes, des adultes et des seniors, composent une mosaïque intergénérationnelle. Mais il faut s'arracher à cette observation émouvante pour prendre aussi le chemin de La Courneuve. Dans la navette nous avons été ventilés au mieux pour qu'il n'y ait pas de bousculade. Les places assises se remplissent rapidement, jeunes et moins jeunes mêlés. Parmi les derniers arrivants des seniors, spontanément deux jeunes gens se lèvent et offrent leur place. La conversation s'engage, le tutoiement s'installe comme une évidence. Oui, vraiment, la fête de l'Huma est une manifestation populaire.
Passé les points de contrôle où des dizaines de bénévoles ornent votre poignet du sésame - rouge pour les bâtisseurs, entendre organisateurs et invités qui construisent la Fête - vert pour les quidams - le visiteur novice aborde enfin le lieu tant convoité. Ce qui frappe c'est la profusion de panneaux indiquant les directions, Village du Livre, Village du Monde, Agora sont les premiers noms qui s'imposent à la vue. Ce n'est qu'en s'enfonçant dans la vaste esplanade plantée de tentes qui côtoient nombre de bâtiments en dur, que le visiteur prend la mesure de la Fête. Une vraie ville. Plus tard, à l'occasion de tel ou tel rendez-vous pour signer dans un des stands ou pour participer à un débat il en découvrira l'ampleur réelle. Si on n'y prend garde, il est facile de se perdre, alors on lève le nez du bitume et l'on découvre que cette véritable ville éphémère est quadrillée de rues et d'avenues rendant hommage à des personnalités politiques radicales. On y croise Angela Davis, Salvador Allende et tant d'autres figures du refus de l'injustice.
La foule multicolore qui tout a l'heure affluait vers les navettes, parcourt ces rues et avenues. Certains se dirigent avec détermination vers une destination impérieuse, d'autres hésitent, avancent prudemment scrutant les repères, un peu comme de nouveaux collégiens lors de la découverte d'un établissement encore inconnu. Bien que rien n'ait vraiment commencé flottent déjà les arômes de grillades et l'on aperçoit de petits groupes se constituer autour de verres de vin ou de bière à même le zinc des tentes blanches accolées les unes aux autres. Les interpellations fusent et le nouveau venu comprend rapidement qu'une longue camaraderie lie ces femmes et ces hommes, ici ou dans une autre vie qui nous reste inconnue et impénétrable.
Si le vendredi le soleil était généreux et brûlant, samedi matin une pluie fine noircit l'asphalte. Au dire des anciens, une fête de l'Huma sans pluie, ce n'est pas une fête de l'Huma. Donc le cru 2015 ne déroge pas à la tradition. L'espace entre la descente des navettes et les sas de filtrage est occupé par de nombreux vendeurs à la sauvette qui proposent des chapeaux parapluie multicolores. Passé l'entrée de la Fête proprement dite, quelques vendeurs vendent eux de vrais parapluies. La fine pluie qui avait accueilli les visiteurs au matin s'était rapidement transformée en trombes d'eau virevoltantes. Assis à notre place nous pouvons voir la foule se raréfier dehors, tandis que les allées bordant les stands se remplissent de grappes humaines ruisselantes. Rapidement les allées du salon se trouvent recouvertes d'une fine pellicule d'humidité, comme si les toits du hall étaient devenus perméables. Si d'aventure il est nécessaire de se rendre ailleurs, l'imprudent marcheur est bien vite arrosé copieusement se retrouvant, arrivé à destination, trempé comme après la douche, - sauf qu'on la prend rarement totalement habillé -. C'est ainsi que imbibé jusqu'à la peau par le déluge moqueur, il comprend pourquoi les vendeurs de pèlerines en plastique ont occupé rues et avenues fort opportunément. Porteurs d'une mémoire ancestrale sur la façon dont il pleut sur le Parc Paysager de La Courneuve le second week-end de septembre, ils deviennent des sauveurs providentiels pour les pauvres novices dont fait partie votre humble narrateur.
Parmi tous les moments forts de cette participation pour la sortie de mon livre, il y a samedi la séance de présentation à la CGT de Paris. Au début le novice se retrouve à devoir gérer l'urgence, signer sur le stand de sa maison d'édition aussi longtemps que possible puis se rendre aux différents rendez-vous concoctés par sa directrice. C'est ainsi qu'il accumule les kilomètres de marche et parfois arrive très en retard... Pourtant, l'expérience aidant, il anticipe et peut même trouver le temps de grignoter un couscous savoureux avant d'arriver à bon port.
Nous voici donc à l'heure et revigoré par la généreuse portion épicée sous la tente de la CGT de Paris, où nous accueille Patrick, un des auteurs du recueil de nouvelles Franco la Muerte dont c'est la sortie et impresario accidentel du groupe musical opportunément baptisé Los Republicanos. Ils sont 6 musiciens autour de Pierrot Domengés le chanteur et un des auteurs de nouvelles du recueil. Malgré la pluie une petite foule est venue s'installer autour des quelques tables sous la toile. Une, deux puis trois chansons emblématiques de la guerre d'Espagne s'enchaînent au son des guitares électriques, du cajon et de la clarinette. Puis Patrick prend la parole pour présenter le recueil. L'assistance écoute avec attention. De nouveau deux chansons et c'est à moi de parler. Je présente rapidement le livre, décrit le contexte qui s'enracine dans un épisode sordide de ce régime abject. Je raconte les enfants arrachés à leurs parents républicains, dont certains seront exécutés, pour être placés dans des familles de dignitaires de régime... Le silence est absolu, les visages sont graves, quelques regards humides à l'évocation de cette tragédie. Je remercie et me retire de scène, un bref moment d'émotion s'installe, puis de nouveau la musique qui nous redonne vie... Les musiciens ont instinctivement gardé en finale "El pueblo unido" de Quilapayun. La petite foule reprend le refrain. Timides au début, les voix s'amplifient progressivement. Debout les musiciens ont repris le refrain après la dernière strophe, l'assistance se lève aussi galvanisée. Les poings au ciel s'agitent au rythme du slogan, la musique s'est tue, ne restent plus que ces voix scandant : "El pueblo, unido, jamás será vencido", encore et encore, dans l'espoir, peut-être, que cette scansion hypnotique puisse, à elle seule, rendre justice à toutes celles et à tous ceux dont on a ainsi brisé l'existence.
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