dimanche 1 mai 2016

En passant par la Cerdagne.


Il y eut d'abord Foix et son château prolongeant les versants abrupts d'un piton inaccessible, puis plus loin les étranges monts épars, rochers colossaux hérissant le paysage, comme jetés-là au hasard par quelque géant négligent. Copie amplifiée des champs de monolithes à nu des Météores en Grèce. Ici, comme là-bas, l'impression angoissante d'un lieu où l'humain n'est pas le bienvenu. D'un lieu quadrillé par les forces telluriques hostiles de créatures chthoniennes prêtes à reprendre leur lutte titanesque.

Il y eut ensuite la lente métamorphose en une vallée de montagne à travers laquelle la route se frayait un chemin en direction d'Ax-les-Thermes. Un léger crachin grisait l'asphalte, tout en estompant les pâturages et la forêt. Parfois, à travers une percée de nuages, l'aveuglante blancheur des croupes enneigées signifiait que l'hiver résistait encore au printemps en ces lieux tournés vers le septentrion.
Passée la station balnéaire, les lacets serrés attaquaient bravement le versant rocailleux. Virage après virage la pente enneigée se rapprochait, jusqu'à ce qu'enfin on parvienne au cœur de la splendeur virginale drapée dans de larges volutes brumeuses. De courts névés barraient la route parfois, ruisselants sous les assauts d'un air désormais chargé des douceurs printanières. La masse cotonneuse irradiait progressivement la lumière d'un soleil de plus en plus proche, jusqu'à ce que soudain on émerge au dessus du nuage entourés du manteau hivernal que surplombait un ciel à l'azur déjà chaleureux. Le col du Puymorens s'offrait en un partage indiscutable entre le nord ennuagé et le sud dégagé pour une descente vertigineuse vers Bourg-Madame et la limite entre France et Espagne.

Il y eut enfin les doux vallonnements de la Cerdagne française recouverts de pâturages où broutaient paisiblement chevaux et vaches qui suivaient d'un œil détaché les rares automobiles filant sur la route éclaboussée de soleil. Ponctuant les quelques kilomètres avant la frontière se dressaient de rares hameaux aux noms étranges, Entveigt ou Ur, laissant à penser au voyageur qu'un sortilège l'avait transporté des Pyrénées vers la Suisse. En effet, la large haute plaine frontalière offrait au regard le damier de nuances de vert des champs en culture. Dominant le tout, les cimes enneigées constituaient un rempart apparemment infranchissable qui ceignait ce petit paradis intemporel. Néanmoins, la distance entre plateau et cimes rendait la présence de cette barrière plus esthétique qu'oppressante.

La route poursuit sa progression paresseuse vers Puigcerdà au milieu de prairies romantiques. Soudain, le voyageur légèrement hypnotisé par la quiétude ambiante s'aperçoit avec stupeur avoir franchi la frontière. Pourtant rien ne signale la limite. Tout à son étonnement on cherche à comprendre ce qui donne cette certitude. Peut-être une légère nuance de crème différente sur le panneau de limitation de vitesse, où les silhouettes plus trapues des véhicules sur celui d'interdiction de dépasser. L'impression sera confortée quelques minutes plus tard lors du contournement de Puigcerdà, l'architecture de briquettes, la forme des immeubles, tout cela dénote de façon certaine l'arrivée en Espagne. Désormais on file vers le tunnel de Cadì qui ouvre l'accès vers Barcelone.

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