jeudi 27 août 2015

Andaluces de Jaén

La chaleur vous suffoque sitôt quitté le cocon protecteur de la voiture. Sur la place où se dresse l'hôtel les terrasses commencent à se remplir d'une foule bavarde attablée devant des rafraîchissements et des assiettes de tapas. La nuit vient de tomber, rapide. La progression de l'obscurité était au diapason de celle des voyageurs qui traversaient les faubourgs vers le centre de Jaén. Les larges avenues des quartiers modernes ont fait place aux rues de plus en plus étroites et escarpées du casco viejo. Les façades aussi ont changé de physionomie, plus petites, chaulées, elles s'ornent d'oriels ouvragés dont les jalousies laissent filtrer un peu de l'éclairage intérieur. De belles grilles chantournées protègent les autres fenêtres. Si d'aventure on en doutait, ces détails montrent bien que nous sommes en Andalousie.

Dans toutes les villes il y a des lieux offrant une vision originale. A Jaén il y a certes le parador situé sur le mont dominant la cité, mais au cœur même de la vieille ville la terrasse de l'hôtel Xauen émerveille le touriste curieux. Là, au septième étage du bâtiment, prolongeant un bar largement vitré on trouve une plateforme surplombant le vieux quartier. Si on se donne la peine de glisser son regard vers l'abîme on aperçoit des patios ombragés, des terrasses improvisées où, là, sèche du linge, là-bas, s'étalent chaises dépareillées et tables branlantes. Mais le spectacle le plus éblouissant nous est offert, d'une part par la masse imposante de la cathédrale qui découpe la silhouette baroque de ses deux tours surmontées de coupoles qui flanquent le galbe pesant de sa façade saint sulpicienne sur le ciel délavé, d'autre part par sa contrepartie sourcilleuse qu'est le château fort qui couronne la cime abrupte, dominant à la fois les quartiers profanes et les nombreux clochers des chapelles et églises de Jaén. Plus près, encadrant la place devant l'hôtel, les toits vernissés des immeubles en contrebas brillent avec éclat sous le soleil de plomb malgré l'heure matinale.

Il est onze heures et le soleil brûlant écrase la ville, impérieux. Nous avons rendez vous avec Ramón, notre guide. Pour l'heure, exceptionnellement il ne nous introduira pas dans les nombreuses églises et chapelles expiatoires de la cité, mais il nous convie à une promenade dans le temps et l'espace vers les bains maures. Nous errons parmi les façades chaulées de petits immeubles immémoriaux. Les rues, si étroites que nous devons nous pousser lorsqu'une voiture s'y aventure laborieusement, offrent une fraîcheur bienfaisante car elles sont à l'ombre pour quelques heures encore. Entre les îlots habités des percées exiguës partent à l'assaut de la montagne, en vertigineuses volées de marches abruptes. La distance entre les façades miséreuses est si faible que les linges multicolores des vis-à-vis se mêlent au moindre souffle d'air.   Autrefois quartier juif, il est possible de voir encore sur certaines façades, près de la porte d'entrée, l'étoile de David gravée sur la pierre calcaire.
Nous voici sur la parvis du Palacio de Villardompardo dont le sous-sol abrite les restes des bains maures. Construit au XVII éme siècle, les architectes du vaste bâtiment n'ont eu aucun scrupule à asseoir les fondations sur les nombreuses salles que comptent les bains. Aujourd'hui il est possible de se promener au gré des envies, passant de l'antichambre, où les utilisateurs pouvaient acquérir les produits nécessaires aux ablutions, vers les différents bains à travers les vestiaires. Les belles pièces recevaient le jour par de petites fenêtres percées dans la voûte cintrée. Un système ingénieux, mû par les officiants, permettait, en posant des verres colorés sur les petites ouvertures circulaires, d'obtenir des effets lumineux propres, selon les médecins de l'époque, à maintenir la santé et le bien-être des baigneurs. Contrastant avec le feu extérieur, ici règne une douce fraîcheur apaisante, tandis que l'épaisseur des murs protège des bruits de la cité. Et c'est à regret que le visiteur abandonne ces lieux, que son imagination peuple de fantômes bavards et rieurs.
Plus loin, remontant la rue à peine plus large que les précédentes se dresse l'église de la Magdalena. Largement plus ancienne que la cathédrale, elle a conservé l'appareil de maçonnerie arabe et la tour carrée classique dans ces contrées d'Al-Andaluz. Flanquée d'un cloître, elle s'ouvre sur la rue par un vaste porche cintré. Le passant peut alors, s'il a la chance que les lourds battants de bois patiné soient ouverts, admirer l'éclat azuréen d'une grande vasque qui orne la cour centrale, en contrebas de la terrasse donnant accès à la nef. Au long de notre chemin pour parvenir aux bains maures, nous avions déjà été frappés par le nombre de fontaines qui rythmaient notre progression. Cette profusion d'eau, contrastant avec l'aridité de la plaine environnante, s'expliquait d'après Ramón notre guide par les nombreuses sources que recelait le piton rocheux. Cette richesse étonnante avait conduit les premiers bâtisseurs de la ville à l'accrocher sur ces flancs abrupts, afin d'en bénéficier. Voilà aussi qui expliquait le nombre de villages perchés sur des pitons apparemment inhospitaliers que nous avions vus sur notre route la veille. Bien entendu, aujourd'hui l'extension considérable de la ville nécessite des ressources d'une autre taille.

Encore une fois la route poussiéreuse file au milieu des rangées d'oliviers gris vert. Peu à peu la Sierra jete ses monts abrupts comme des avant-gardes destinées à nous ralentir. Mais la route serpente obstinée entre les replis de plus en plus serrés et aigus. Au détour d'un virage plus large que les autres s'offre un magnifique point de vue. L'air de rien nous avons grimpé allègrement et l'esplanade aménagée sur un contrefort dévoile au loin Jaén tandis que notre regard plonge vertigineusement sur une pente presque verticale vers la mer d'oliviers, d'où émergent de ci delà la silhouette blanche d'un cortijo ou les pans ruinés d'un quelconque abri pastoral. Poursuivant l'ascension la route devient plus étroite, taillée entre des pans minéraux elle surplombe le lit asséché et rocailleux d'une rivière que l'on imagine tumultueuse après la moindre pluie d'orage. Enfin, après avoir traversé quelques tunnels creusés a même la roche nous atteignons la vaste étendue d'eau que retient un barrage à voûte de taille moyenne qui barre la vallée entre deux contreforts détachés de la masse rocheuse, tels les bastions d'une forteresse naturelle. L'exceptionnelle canicule qui a frappé l'Espagne quelques dizaines de jours plus tôt  a accentué les effets de la sécheresse. La surface du lac s'étale, miroir d'émeraude figé, plusieurs mètres au dessous des laisses, témoignant de la perte du précieux liquide. Cette retenue alimente Jaén et ses environs en eau. Porté par on ne sait quelle étrange nostalgie, Ramón laisse échapper "Comme quoi Franco a fait aussi de bonnes choses pour l'Espagne !" Et l'étranger perplexe, se souvient des milliers de prisonniers politiques assignés à des chantiers titanesque, au seul tort d'avoir cru à un monde humain où la Loi serait la même pour tous. Il imagine sans peine ces modernes esclaves, creusant avec des outils sommaires les tunnels qu'il a précédemment traversés. Il suppute le nombre d'entre eux qui dorment, anonymes, enterrés dans des fosses communes aujourd'hui oubliées. Tout cela pour la "grandeur" d'une Espagne éternellement figée dans le passé, et surtout pour la fortune des soutiens du régime dictatorial. Fort heureusement la vérité est toute autre, délaissé par le régime franquiste ce coin d'Andalousie s'est doté de ce réservoir vital au moment de la Transición, c'est à dire après la mort du dictateur.

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