Nous sommes en 1943,
dans un coin perdu de Catalogne coincé entre les replis du Piémont pyrénéen à
quelques dizaines de kilomètres de la
Seu d'Urgel. Entre forêts et pâturages quelques mas aux terres plus ou
moins riches permettent à une quinzaine de familles de vivre. Ici, à l'écart de
tout, la Guerre d'Espagne qui s'est achevée il y a 4 ans est un événement
lointain dont les échos se sont vite tus absorbés par les hautes futaies.
Pourtant, parmi les victimes du conflit, il y a Joaquim Sindreu le propriétaire
des terres, industriel barcelonais, paternaliste, attentif au fragile équilibre
de cette société rurale où les ambitions et les jalousies peuvent rapidement
dégénérer.
Nous sommes à la fin
de l'hiver, les corps de Josep Vilana, sa femme Margarida Miquela et leurs deux
filles Maria et Carmen les métayers du mas de Laortó et du Clot de Moreu sont
découverts. Tous quatre ont été assassinés avec une grande sauvagerie. Mais
dans l'Espagne nouvelle, régénérée, désormais guidée par les valeurs du
national catholicisme il n'est pas question que la presse diffuse cette
nouvelle. Rapidement les soupçons s'orientent vers Eusebí Bringué et sa femme
Amália Tost, pourtant malgré les preuves et les témoignages concordants les
deux suspects bénéficieront d'un non-lieu et retourneront vivre à Carreu au
milieu des autres fermiers pas dupes.
Ce fait divers aux
dénouement étonnant est un matériau romanesque extraordinaire, à l'instar de
Truman Capote qui enquête puis relate dans « De Sang froid » le crime
sordide de quatre fermiers par deux marginaux à Holcomb au Kansas en 1959, Pep
Coll mène une enquête minutieuse près de 70 ans après les faits afin d'essayer
de comprendre non seulement le mobile qui a conduit au drame (ici la jalousie
morbide d'un couple haineux), mais surtout les ressorts qui ont permis que les
auteurs de ce crime abominable soient libérés et blanchis. Dans ce roman
structuré en 19 récits qui mettent en scène chacun des protagonistes principaux
: victimes, assassins, proches et voisins, ou personnel de Justice, l'auteur
reconstitue avec précision le contexte et les évènements qui vont conduire à la
tragédie. À la fois kaléidoscope d'une époque et d'un lieu, les récits se
répondent les uns les autres et construisent un tableau d'une intense
cohérence. L'écriture dépouillée, presque triviale, de Pep Coll conduit avec un
art consommé le lecteur vers la vérité des personnages. À l'ambition
industrieuse de Josep s'opposent l'appétit jaloux d'Amália et la violence brute
de Eusebí, tandis que l'indifférence polie des héritiers de Joaquim Sindreu
vis-à-vis des humains dont ils gouvernent les destinées produira l'enchaînement
fatal. Peu à peu le piège tragique se construit, envahit l'espace des
protagonistes avant de se refermer sur tous. Un livre âpre, superbement écrit,
qui capte le lecteur du début jusqu'à la fin, et dont on ne sort pas indemne.
Quatre cercueils : deux noirs deux blancs, Pep Coll aux éditions Actes sud. Ce roman a obtenu le prix du Livre Pyrénéen au 7° Salon du Livre Pyrénéen de Bagnères-de-Bigorre. Chronique diffusée le samedi premier octobre 2016, lors de l'émission "Un jour, un livre un auteur" sur Radio Présence Lourdes, en direct depuis le Salon de Bagnères.
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