mercredi 2 janvier 2013
Un petit conte d'hiver.
Pour fêter la nouvelle année, voici un petit conte d'hiver en quatre parties. Dans ce monde au bord du gouffre, force est de constater que la fiction est toujours très optimiste même lorsqu'elle veut faire peur. Je vous souhaite une bonne et heureuse année, sans angoisses ni ombres qui rôdent.
Étrange rencontre. I- Soirée festive à Gérardmer
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Personne n’a oublié
combien l’hiver dernier fut intense. Bien que le froid n’ait pas été aussi
terrible qu’il y a trois ans, ce sont surtout les épisodes de chutes de neige
abondante qui sont restés dans toutes les mémoires. Notamment, celui intervenu
entre Noël et Nouvel An. J’avais accepté de présenter une causerie sur la façon
dont un auteur se sert du décor d’une ville, en l’occurrence Nancy, pour créer
une atmosphère adéquate à son intrigue. L’invitation émanait d’un ami libraire,
qui organisait à Gérardmer une sorte de petit salon littéraire ponctuel. Il
s’agissait d’animer la soirée creuse du mercredi, entre les deux réveillons,
pour les quelques touristes qui demeuraient encore dans la villégiature au bord
du Lac. Rendez-vous avait été pris pour, après un diner offert par l’hôtelier,
rassembler autour de moi dans le salon cosy du Grand Hôtel les quelques commensaux. La journée avait été
particulièrement belle, ne présageant en rien ce qui allait suivre. C’est donc
avec une insouciance alimentée par le soleil rayonnant, qui avait franchi
l’horizon un peu plus tôt, que je quittais Nancy en cette fin d’après midi. En
cette saison la nuit tombe tôt et la situation particulière de la ville,
entourée de collines, accentue la venue de l’ombre. Cela explique pourquoi je
n’imaginais pas une seconde que la neige allait tomber avec une telle
abondance, de façon si soudaine.
J’avais à peine quitté
la cité ducale que de petits flocons virevoltants commencèrent à couvrir mon
pare-brise. Puis, la neige se mit à tomber drue, tandis qu’un vent du Nord
cinglant se levait, plaquant un épais manteau blanc sur la nationale. Les
voitures se firent de plus en plus rares, et je me retrouvais seul, inscrivant
l’empreinte double de mes pneus sur une chaussée virginale. Les lampadaires
disparurent dans mon rétroviseur, derniers vestiges de la présence humaine. Il
faisait doux dans l’habitacle. Le morceau Sorrow
de Pink Floyd installait une ambiance
hypnotique avec son long solo de guitare basse qui s’accordait parfaitement
avec l’impression de plongeon infini à travers le scintillement des flocons,
semblables aux étoiles d’une galaxie incommensurable. La route s’effaçait
derrière un rideau aveuglant, constitué de millier de particules qui se
précipitaient vers moi. Surgissant d’un apex qui reculait à l’unisson de mon
avancée. Je roulais ainsi, me fiant à mes souvenirs, car la violence du vent
avait couvert d’une épaisse couche de neige les panneaux routiers. Mais je
n’avais aucune crainte. Je connaissais parfaitement la route, et l’absence
d’autres voitures me permettait de conduire de façon relativement détendue.
Trop peut-être, car au bout d’une heure j’eus l’impression de m’être
égaré. Autour de moi il n’y avait que la nuit la plus profonde, tandis que les
rares accalmies dans la chute de neige ne me révélaient aucune des lumières qui
auraient dû briller aux fenêtres des fermes et maisons sur les côtés de la
route familière. Sur l’instant j’estimais qu’il y avait peut-être eu une
coupure de courant à cause de la neige collante sur les lignes électriques.
Pourtant, au bout d’une demi-heure supplémentaire, je dus me rendre à
l’évidence, je n’étais pas sur la bonne route. La quantité de neige sur la
chaussée rendait périlleux de faire demi-tour, aussi décidais-je de poursuivre
jusqu’au prochain embranchement. Je ne l’atteignis jamais, car une imposante
congère me força à m’arrêter.
Étrange rencontre. II- Un refuge dans le blizzard
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De son sommet, je vis
briller à quelque distance une lumière pâlotte. Délaissant mon véhicule
désormais inutile, je me dirigeai vers cette lueur avec l’espoir de trouver un
téléphone pour avertir mon ami à Gérardmer de ma mésaventure. Le vent glacial
me giflait avec une violence inouïe. La chute de neige avait cessé, mais le
ciel demeurait couvert de nuages opaques. Je titubai en escaladant les tas de
neige qui parsemaient mon chemin. J’avançai incertain, car autour de moi l’épais
manteau recouvrait tout, aussi bien la route que les champs, tandis que
l’absence de réverbères plongeait les environs dans les ténèbres les plus
compactes. Je percevais indistinctement les ombres plus profondes de bâtiments
à droite et à gauche de mon parcours, mais ils étaient eux aussi exempts de la
moindre lumière, comme s’ils étaient vides et abandonnés. Plusieurs fois je
m’étais enfoncé jusqu’à mi-cuisse dans la neige, ce qui avait eu pour effet de
me tremper complètement. Pour comble, je ne pouvais apprécier la qualité du sol
sur lequel je marchais et je perdis l’équilibre, sans toutefois tomber, mais je
m’étais tordu la cheville. La suite de mon chemin fut particulièrement
douloureuse, des élancements violents traversaient ma jambe droite à chaque
claudication. Seule la faible lumière au loin constituait un objectif à
atteindre, perdu au cœur d’un océan d’obscurité profonde. Enfin, je parvins à
l’endroit d’où émanait la lumière. Tâtonnant dans le noir, je m’éloignai de la
lueur qui, en fait, me parvenait à travers une fenêtre, pour trouver une porte
à laquelle frapper. Mes yeux habitués à l’obscurité me permirent de constater
qu’il s’agissait d’un hôtel, j’y pénétrai et allai jusqu’à la lumière. Elle
émanait d’un candélabre, où brûlaient plusieurs bougies, posé sur le comptoir
de l’accueil. J’en conclu que l’absence de lumière dans tout le village était
due à une coupure d’électricité, vraisemblablement consécutive à la quantité de
neige tombée en si peu de temps. Je sursautai car un homme avait surgi dans
mon dos, il était vêtu de grosse laine sombre et son visage était impassible. Il
m’apprit que j’avais abouti à Plombières-les-Bains, où depuis le mois de
novembre tous les hôtels et résidences étaient fermés. Pour couronner le tout,
les rares habitants disséminés dans le bourg se trouvaient coupés du monde
depuis le début de soirée. Constatant le piteux état où j’étais, le vieil homme
eut pitié et me proposa de passer la nuit sur place, tout en me précisant que
le confort serait des plus sommaires. Trempé et incapable de marcher davantage
dans la neige épaisse, j’acceptai. Il s’excusa de ne pouvoir m’offrir ni repas
ni vrai lit, puisque l’hôtel était fermé, mais il me conduisit à une grande
pièce, qui devait servir de salon particulier en saison, dans laquelle flambait
joyeusement un feu bienvenu. L’homme m’informa que je devrais partager le salon
avec un autre naufragé. Ma fatigue et la douleur de ma jambe étaient telles que
je ne me sentis pas le courage de rebrousser chemin.
Je me retrouvai
rapidement installé devant les flammes vivifiantes, enroulé dans des
couvertures de laine soyeuse, tandis que mes habits imbibés d’eau séchaient à
côté de moi sur des dossiers de chaises. La pièce n’était éclairée que par la
lumière violente des langues virevoltantes, et deux bougeoirs posés sur des
meubles plus loin. L’ensemble ne parvenait pas à dissiper l’obscurité dans
laquelle se perdaient le mobilier et les murs. En attendant d’être débarrassé
de l’humidité qui collait à ma peau pour pouvoir bander ma cheville
douloureuse, je me laissai aller à la somnolence. J’en fus tiré par un mouvement
furtif dans un coin du salon, j’avais oublié que je partageais le lieu avec une
autre personne. L’homme s’excusa de m’avoir réveillé, puis il raconta
brièvement son propre naufrage, quelques dizaines de minutes avant que je
n’arrive moi-même. Il m’expliqua qu’il avait suivi notre hôte, et que celui-ci
avait réussi à trouver un grand pain, du fromage, ainsi qu’une bouteille de
bourbon. Mon compagnon, installa une petite table entre nous deux et s’asseyant
lui aussi face au feu, il entreprit de nous servir à boire et de quoi remplir nos
estomacs.
Si d’emblée, la
présence d’un autre voyageur dans la pièce m’avait paru un inconfort
inopportun, je dois avouer qu’au fil des minutes sa voix chaleureuse, la
qualité de sa disponibilité vis-à-vis de l’infirme que je me sentais être,
autant que l’intérêt de ses propos me le rendirent sympathique. J’en arrivai à
accepter la perspective de cette cohabitation avec plaisir. Dehors, la neige
s’était remise à tomber drue, tandis que le vent sifflait violemment contre les
huisseries des fenêtres. Nous avions mangé avec appétit, et pour l’heure notre
conversation se déroulait autour d’un verre copieux de liquide ambré aux
senteurs boisées et au goût velouté. La nuit avançait et l’hôtel résonnait des
milliers de craquements et bruits d’une vieille bâtisse soumise à si rude
épreuve par les intempéries.
Étrange rencontre. III- Veillée devant l’âtre
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Les vapeurs d’alcool
aidant, nous en étions venus à des confidences, d’autant plus faciles que nous
savions cette rencontre sans lendemain. Me voyant, grimacer sous la souffrance,
mon compagnon proposa de me soulager. Avec d’infinies précautions, il souleva
ma jambe blessée et enveloppa ma cheville de ses deux mains. La chaleur de ses
paumes était douce, puis elle monta graduellement s’achevant par des
picotements jusqu’au mollet d’un côté et l’extrémité des orteils de l’autre. Il
resta ainsi un long moment, puis il reposa doucement ma jambe sur le tabouret
où elle se trouvait auparavant. La chaleur persista, ainsi que les picotements
puis tout s’estompa.
Nous étions coupés du
monde, ou du moins le monde civilisé n’existait plus en dehors du cône étroit
que délimitaient les éclats changeants des flammes de l’âtre. Les bougies
avaient cessé de brûler, et toute la pièce hormis ce petit espace devant la cheminée
était plongée dans une ombre profonde. La chaleur qui émanait du feu
contrastait avec l’impression de froid glacial qui s’élevait dans notre dos.
Même les deux fenêtres semblaient donner sur un autre monde, ténébreux,
hyperboréen. Le noir le plus absolu régnait en dehors de la pièce. Jusqu’à la
neige qui semblait dépourvue de cette fluorescence si commune que diffusent en
halo caractéristique les champs enneigés. Nous étions entourés de ténèbres et
de bruits furtifs. Soudain, nous entendîmes au loin s’élever un hurlement aigu,
un long cri répercuté par l’écho, auquel vint répondre un second hurlement plus
près, puis plusieurs autres dans le lointain. C’étaient des loups qui s’appelaient,
regroupant la meute. Brutalement, la terreur ancestrale envahit mon esprit,
tandis qu’avec flegme mon compagnon, attisait les braises pour revigorer le
feu, puis y plaçait d’autres bûches.
Alors, se tournant
vers moi, il commença un long récit qui restera gravé dans mon esprit jusqu’à
ma dernière heure. Ce qu’il me décrivit durant cette longue nuit était terrifiant,
car il me dévoila des dangers qui nous guettent, hors de portée de notre
perception et pourtant d’une effroyable réalité. L’inconnu et ses semblables vivent
cachés au milieu des hommes depuis des millénaires, dotés de pouvoirs que les
autres humains n’ont pas. Génération après génération, ils attendent l’arrivée
des Temps Obscurs pour accomplir leur Mission. Il me parla ensuite, jusqu’aux
premières lueurs de l’aube des signes indiquant l’arrivée imminente de cet Âge
terrifiant. Ses paroles firent se hérisser mes cheveux et je sentis un souffle
maudit rôder autour de nous. L’abomination à laquelle nous sommes confrontés
transformait en d’aimables contes la peur des loups dont j’entendais les appels
angoissants au-dehors.
Étrange rencontre. IV- L’étrange cadeau
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Sous la lumière
blafarde du petit matin, j’émergeai transi d’un bref sommeil inconfortable
dans la pièce glaciale. Le feu était mort et le froid s’immisçait lentement
sous les couvertures dans lesquelles j’étais enroulé. Un jour grisâtre coulait
chichement par les fenêtres. Je cherchai vainement du regard mon compagnon,
mais j’étais seul dans la pièce. Un second verre et un autre couvert étaient
les seuls vestiges attestant de sa présence. Sans eux j’aurais pu croire avoir
rêvé tout cela, surtout lorsque je constatai que le flacon de bourbon était
vide. Pour la première fois depuis mon arrivée, je pouvais voir le décor vieillot,
aux couleurs fanées. Je remarquais les tâches d’humidité aux murs, les vitres
brisées, les boiseries rongées par les moisissures. Mes vêtements étaient heureusement
secs, aussi je les enfilai en grelottant. Je constatai que non seulement la
neige avait cessé de tomber mais qu’un redoux relatif la faisait refluer. Je
m’emmitouflai pour affronter le froid extérieur. Au moment de sortir j’aperçus
sous la table, où l’inconnu et moi avions partagé le repas, une serviette en
cuir de belle qualité. J’y jetai un œil curieux et constatais qu’elle
contenait plusieurs liasses de papier, je l’empoignai pour la remettre à son
propriétaire qui ne devait donc pas être loin, ou au pire au factotum en
partant. Mais l’accueil était vide, la porte de l’hôtel battait sous l’effet du
vent. En y regardant de plus près je constatai que tout était à l’abandon, la
décrépitude des lieux montrait que la fermeture de l’établissement ne remontait
pas à quelques semaines, mais au moins à dix ans. Je me rendis à l’évidence que
mon compagnon d’aventure avait disparu, de même que le portier de cet hôtel. La
nuit passée dans ce lieu improbable prenait une teinte d’irréalité, qui ne
parvenait cependant pas à effacer la puissance terrifiante du récit que j’avais
entendu. Un peu hébété je me glissai dehors et marchai vers ma voiture qui
n’était qu’à une dizaine de mètres dans la rue. La petite ville dormait
profondément, la plupart des maisons semblaient inhabitées car seules deux
cheminées au loin laissaient échapper de minuscules volutes de fumée. Ce n’est
qu’en prenant place dans la voiture que je remarquai que j’avais toujours en main
le porte-document. Le maroquin était confectionné dans un cuir souple
magnifiquement travaillé, aux dessins étrangement inquiétants. Je réalisai
aussi que je venais de couvrir ces quelques mètres sans ressentir de douleur
consécutive à mon entorse de la veille. C’était si anormal que je crus avoir tout
rêvé. Pourtant mon médecin me confirma quelques jours plus tard que je portais
bien les traces d’une entorse guérie. Il ne voulut jamais croire que cela
c’était passé en l’espace d’une nuit.
De retour chez moi je
consultais plus attentivement le contenu de la sacoche qu’avait abandonné mon
compagnon. Elle contenait cinq récits qui prolongeaient ce qu’il m’avait dit sur
l’existence des Enfants Arc-en-Ciel. Sont-ils des mutants ou des créatures nous
ressemblant physiquement mais irrémédiablement étrangères ? Je ne sais toujours
pas. Néanmoins, en cette nuit funeste où j’ai découvert leur existence j’ai
acquis la certitude de leur présence parmi nous, indétectables. Sans trop
savoir pourquoi j’ai l’impression tenace que mon étrange compagnon de naufrage
m’avait confié ces récits pour les diffuser. Depuis ce jour, des ombres rôdent
autour de moi. Pour me protéger ou s’assurer de mon silence ?
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