Sous la lumière
blafarde du petit matin, j’émergeai transi d’un bref sommeil inconfortable
dans la pièce glaciale. Le feu était mort et le froid s’immisçait lentement
sous les couvertures dans lesquelles j’étais enroulé. Un jour grisâtre coulait
chichement par les fenêtres. Je cherchai vainement du regard mon compagnon,
mais j’étais seul dans la pièce. Un second verre et un autre couvert étaient
les seuls vestiges attestant de sa présence. Sans eux j’aurais pu croire avoir
rêvé tout cela, surtout lorsque je constatai que le flacon de bourbon était
vide. Pour la première fois depuis mon arrivée, je pouvais voir le décor vieillot,
aux couleurs fanées. Je remarquais les tâches d’humidité aux murs, les vitres
brisées, les boiseries rongées par les moisissures. Mes vêtements étaient heureusement
secs, aussi je les enfilai en grelottant. Je constatai que non seulement la
neige avait cessé de tomber mais qu’un redoux relatif la faisait refluer. Je
m’emmitouflai pour affronter le froid extérieur. Au moment de sortir j’aperçus
sous la table, où l’inconnu et moi avions partagé le repas, une serviette en
cuir de belle qualité. J’y jetai un œil curieux et constatais qu’elle
contenait plusieurs liasses de papier, je l’empoignai pour la remettre à son
propriétaire qui ne devait donc pas être loin, ou au pire au factotum en
partant. Mais l’accueil était vide, la porte de l’hôtel battait sous l’effet du
vent. En y regardant de plus près je constatai que tout était à l’abandon, la
décrépitude des lieux montrait que la fermeture de l’établissement ne remontait
pas à quelques semaines, mais au moins à dix ans. Je me rendis à l’évidence que
mon compagnon d’aventure avait disparu, de même que le portier de cet hôtel. La
nuit passée dans ce lieu improbable prenait une teinte d’irréalité, qui ne
parvenait cependant pas à effacer la puissance terrifiante du récit que j’avais
entendu. Un peu hébété je me glissai dehors et marchai vers ma voiture qui
n’était qu’à une dizaine de mètres dans la rue. La petite ville dormait
profondément, la plupart des maisons semblaient inhabitées car seules deux
cheminées au loin laissaient échapper de minuscules volutes de fumée. Ce n’est
qu’en prenant place dans la voiture que je remarquai que j’avais toujours en main
le porte-document. Le maroquin était confectionné dans un cuir souple
magnifiquement travaillé, aux dessins étrangement inquiétants. Je réalisai
aussi que je venais de couvrir ces quelques mètres sans ressentir de douleur
consécutive à mon entorse de la veille. C’était si anormal que je crus avoir tout
rêvé. Pourtant mon médecin me confirma quelques jours plus tard que je portais
bien les traces d’une entorse guérie. Il ne voulut jamais croire que cela
c’était passé en l’espace d’une nuit.
De retour chez moi je
consultais plus attentivement le contenu de la sacoche qu’avait abandonné mon
compagnon. Elle contenait cinq récits qui prolongeaient ce qu’il m’avait dit sur
l’existence des Enfants Arc-en-Ciel. Sont-ils des mutants ou des créatures nous
ressemblant physiquement mais irrémédiablement étrangères ? Je ne sais toujours
pas. Néanmoins, en cette nuit funeste où j’ai découvert leur existence j’ai
acquis la certitude de leur présence parmi nous, indétectables. Sans trop
savoir pourquoi j’ai l’impression tenace que mon étrange compagnon de naufrage
m’avait confié ces récits pour les diffuser. Depuis ce jour, des ombres rôdent
autour de moi. Pour me protéger ou s’assurer de mon silence ?
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