Personne n’a oublié
combien l’hiver dernier fut intense. Bien que le froid n’ait pas été aussi
terrible qu’il y a trois ans, ce sont surtout les épisodes de chutes de neige
abondante qui sont restés dans toutes les mémoires. Notamment, celui intervenu
entre Noël et Nouvel An. J’avais accepté de présenter une causerie sur la façon
dont un auteur se sert du décor d’une ville, en l’occurrence Nancy, pour créer
une atmosphère adéquate à son intrigue. L’invitation émanait d’un ami libraire,
qui organisait à Gérardmer une sorte de petit salon littéraire ponctuel. Il
s’agissait d’animer la soirée creuse du mercredi, entre les deux réveillons,
pour les quelques touristes qui demeuraient encore dans la villégiature au bord
du Lac. Rendez-vous avait été pris pour, après un diner offert par l’hôtelier,
rassembler autour de moi dans le salon cosy du Grand Hôtel les quelques commensaux. La journée avait été
particulièrement belle, ne présageant en rien ce qui allait suivre. C’est donc
avec une insouciance alimentée par le soleil rayonnant, qui avait franchi
l’horizon un peu plus tôt, que je quittais Nancy en cette fin d’après midi. En
cette saison la nuit tombe tôt et la situation particulière de la ville,
entourée de collines, accentue la venue de l’ombre. Cela explique pourquoi je
n’imaginais pas une seconde que la neige allait tomber avec une telle
abondance, de façon si soudaine.
J’avais à peine quitté
la cité ducale que de petits flocons virevoltants commencèrent à couvrir mon
pare-brise. Puis, la neige se mit à tomber drue, tandis qu’un vent du Nord
cinglant se levait, plaquant un épais manteau blanc sur la nationale. Les
voitures se firent de plus en plus rares, et je me retrouvais seul, inscrivant
l’empreinte double de mes pneus sur une chaussée virginale. Les lampadaires
disparurent dans mon rétroviseur, derniers vestiges de la présence humaine. Il
faisait doux dans l’habitacle. Le morceau Sorrow
de Pink Floyd installait une ambiance
hypnotique avec son long solo de guitare basse qui s’accordait parfaitement
avec l’impression de plongeon infini à travers le scintillement des flocons,
semblables aux étoiles d’une galaxie incommensurable. La route s’effaçait
derrière un rideau aveuglant, constitué de millier de particules qui se
précipitaient vers moi. Surgissant d’un apex qui reculait à l’unisson de mon
avancée. Je roulais ainsi, me fiant à mes souvenirs, car la violence du vent
avait couvert d’une épaisse couche de neige les panneaux routiers. Mais je
n’avais aucune crainte. Je connaissais parfaitement la route, et l’absence
d’autres voitures me permettait de conduire de façon relativement détendue.
Trop peut-être, car au bout d’une heure j’eus l’impression de m’être
égaré. Autour de moi il n’y avait que la nuit la plus profonde, tandis que les
rares accalmies dans la chute de neige ne me révélaient aucune des lumières qui
auraient dû briller aux fenêtres des fermes et maisons sur les côtés de la
route familière. Sur l’instant j’estimais qu’il y avait peut-être eu une
coupure de courant à cause de la neige collante sur les lignes électriques.
Pourtant, au bout d’une demi-heure supplémentaire, je dus me rendre à
l’évidence, je n’étais pas sur la bonne route. La quantité de neige sur la
chaussée rendait périlleux de faire demi-tour, aussi décidais-je de poursuivre
jusqu’au prochain embranchement. Je ne l’atteignis jamais, car une imposante
congère me força à m’arrêter.
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