mercredi 2 janvier 2013

Étrange rencontre. II- Un refuge dans le blizzard

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De son sommet, je vis briller à quelque distance une lumière pâlotte. Délaissant mon véhicule désormais inutile, je me dirigeai vers cette lueur avec l’espoir de trouver un téléphone pour avertir mon ami à Gérardmer de ma mésaventure. Le vent glacial me giflait avec une violence inouïe. La chute de neige avait cessé, mais le ciel demeurait couvert de nuages opaques. Je titubai en escaladant les tas de neige qui parsemaient mon chemin. J’avançai incertain, car autour de moi l’épais manteau recouvrait tout, aussi bien la route que les champs, tandis que l’absence de réverbères plongeait les environs dans les ténèbres les plus compactes. Je percevais indistinctement les ombres plus profondes de bâtiments à droite et à gauche de mon parcours, mais ils étaient eux aussi exempts de la moindre lumière, comme s’ils étaient vides et abandonnés. Plusieurs fois je m’étais enfoncé jusqu’à mi-cuisse dans la neige, ce qui avait eu pour effet de me tremper complètement. Pour comble, je ne pouvais apprécier la qualité du sol sur lequel je marchais et je perdis l’équilibre, sans toutefois tomber, mais je m’étais tordu la cheville. La suite de mon chemin fut particulièrement douloureuse, des élancements violents traversaient ma jambe droite à chaque claudication. Seule la faible lumière au loin constituait un objectif à atteindre, perdu au cœur d’un océan d’obscurité profonde. Enfin, je parvins à l’endroit d’où émanait la lumière. Tâtonnant dans le noir, je m’éloignai de la lueur qui, en fait, me parvenait à travers une fenêtre, pour trouver une porte à laquelle frapper. Mes yeux habitués à l’obscurité me permirent de constater qu’il s’agissait d’un hôtel, j’y pénétrai et allai jusqu’à la lumière. Elle émanait d’un candélabre, où brûlaient plusieurs bougies, posé sur le comptoir de l’accueil. J’en conclu que l’absence de lumière dans tout le village était due à une coupure d’électricité, vraisemblablement consécutive à la quantité de neige tombée en si peu de temps. Je sursautai car un homme avait surgi dans mon dos, il était vêtu de grosse laine sombre et son visage était impassible. Il m’apprit que j’avais abouti à Plombières-les-Bains, où depuis le mois de novembre tous les hôtels et résidences étaient fermés. Pour couronner le tout, les rares habitants disséminés dans le bourg se trouvaient coupés du monde depuis le début de soirée. Constatant le piteux état où j’étais, le vieil homme eut pitié et me proposa de passer la nuit sur place, tout en me précisant que le confort serait des plus sommaires. Trempé et incapable de marcher davantage dans la neige épaisse, j’acceptai. Il s’excusa de ne pouvoir m’offrir ni repas ni vrai lit, puisque l’hôtel était fermé, mais il me conduisit à une grande pièce, qui devait servir de salon particulier en saison, dans laquelle flambait joyeusement un feu bienvenu. L’homme m’informa que je devrais partager le salon avec un autre naufragé. Ma fatigue et la douleur de ma jambe étaient telles que je ne me sentis pas le courage de rebrousser chemin.

Je me retrouvai rapidement installé devant les flammes vivifiantes, enroulé dans des couvertures de laine soyeuse, tandis que mes habits imbibés d’eau séchaient à côté de moi sur des dossiers de chaises. La pièce n’était éclairée que par la lumière violente des langues virevoltantes, et deux bougeoirs posés sur des meubles plus loin. L’ensemble ne parvenait pas à dissiper l’obscurité dans laquelle se perdaient le mobilier et les murs. En attendant d’être débarrassé de l’humidité qui collait à ma peau pour pouvoir bander ma cheville douloureuse, je me laissai aller à la somnolence. J’en fus tiré par un mouvement furtif dans un coin du salon, j’avais oublié que je partageais le lieu avec une autre personne. L’homme s’excusa de m’avoir réveillé, puis il raconta brièvement son propre naufrage, quelques dizaines de minutes avant que je n’arrive moi-même. Il m’expliqua qu’il avait suivi notre hôte, et que celui-ci avait réussi à trouver un grand pain, du fromage, ainsi qu’une bouteille de bourbon. Mon compagnon, installa une petite table entre nous deux et s’asseyant lui aussi face au feu, il entreprit de nous servir à boire et de quoi remplir nos estomacs.
Si d’emblée, la présence d’un autre voyageur dans la pièce m’avait paru un inconfort inopportun, je dois avouer qu’au fil des minutes sa voix chaleureuse, la qualité de sa disponibilité vis-à-vis de l’infirme que je me sentais être, autant que l’intérêt de ses propos me le rendirent sympathique. J’en arrivai à accepter la perspective de cette cohabitation avec plaisir. Dehors, la neige s’était remise à tomber drue, tandis que le vent sifflait violemment contre les huisseries des fenêtres. Nous avions mangé avec appétit, et pour l’heure notre conversation se déroulait autour d’un verre copieux de liquide ambré aux senteurs boisées et au goût velouté. La nuit avançait et l’hôtel résonnait des milliers de craquements et bruits d’une vieille bâtisse soumise à si rude épreuve par les intempéries. 

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