Il est à peine dix heures. Le vaste hall de l'hôtel grouille d'une foule bigarrée. Il y a ceux qui sortent de la salle à manger après un copieux petit déjeuner, croisant les retardataires qui espèrent être encore accueillis. Il y a les familles qui se dirigent d'un pas décidé vers la plage en contrebas, puis ceux qui attendent patiemment dans la partie salon du hall que les bus viennent les chercher pour retourner chez eux. Les valises s'amoncellent un peu partout, valises en partance, bagages frais débarqués de l'autre bout du monde. Tout ce petit monde crée une agitation cosmopolite, d'où émergent des conversations polyglottes. Des enfants se coursent en criant, tandis que d'autres se pressent timidement aux basques de parents dépassés. Ce hall est à l'image du monde, plein de bruit, d'agitation, de confusion.
Il est dix heures. Derrière leur comptoir les employés écoutent avec le sourire las de ceux qui savent qu'ils auront à répéter dix fois, cent fois les mêmes renseignements, jonglant du castillan à l'anglais, de l'allemand au russe. Ils vont, ils viennent, s'escriment avec les claviers, les lecteurs. Observés de loin, ils semblent danser une improbable chorégraphie au son de la cacophonie ambiante. Le fond bleu gris constituant un décor sur lequel ils se détachent, brouillés par l'incessant va et vient des silhouettes de clients anonymes.
Il est dix heures. Pourtant, la petite place devant l'hôtel est inondée de lumière et de chaleur. De temps à autre un bus s'installe au soleil cru, déversant son flot d'arrivants ou ingurgitant des groupes bronzés. A côté d'eux, la noria de camionnettes de livraison décharge ses palettes de fruits, légumes ou caisses isothermes que l'on imagine chargées de poisson ou de quartiers de viande. Les chauffeurs s'invectivent ironiquement, tout en faisant jouer les hayons en un vrombissement électrique, tandis que s'y mêlent les "bip ! bip !" aigus des alarmes de recul de ceux qui abandonnent la place.
Il est dix heures dix. Assis dans un des fauteuils du hall, vous êtes tiré de votre rêverie par un silence soudain. L'immense espace est désormais vide, la place désertée. Seule subsiste la chaleur extérieure que l'on perçoit, malgré la climatisation, comme un halo fantomatique qui vient caresser votre front. Dans un coin, les vendeurs de bijoux, faussement artisanaux, plient bagage, rangeant les étuis soyeux dans de grandes valises. Plus tard, en fin d'après-midi ils déploieront à nouveau leur étal, rapidement entouré d'une foule de touristes slaves, plus ou moins dupes de la qualité des produits. Mais, les vacances ne sont-elles pas l'occasion de rêver, même si au fond de soi on sait que ce n'est qu'un rêve ?
Quittons maintenant ce lieu déserté. Nos pas nous mènent vers la terrasse en contrebas, que prolonge la plage de sable fin où viennent battre les vagues indolentes de la Grande Bleue. Des touts petits s'ébrouent dans la grande piscine sous l'œil de quelques adultes songeurs. Les transats du solarium s'étalent en une marée multicolore sous les serviettes de bain. Par ci, par là des corps d'un rouge écrevisse poursuivent leur cuisson lente sur l'un des bains de soleil. Un peu à l'écart, des tables s'abritent sous les branches touffues des épicéas qui égaient la terrasse. Quelques consommateurs lisent ou observent l'activité ludique, un verre de sangria couvert de buée devant eux. Ici, la chaleur est largement tempérée par la brise légère qui vient du large. Le temps semble suspendu, chacun plonge dans une attente tranquille. Je ferme les yeux et, bercé par les sonorités de la langue russe autour de moi, me retrouve dans l'ambiance statique et déchirée d'une pièce d'Anton Tchekov.
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