Plaça Prim, rectangle inondé de soleil malgré l'heure matinale. Seuls quelques bancs bénéficient de l'ombre des arbres. Ils accueillent des groupes de deux ou trois vieux, leurs sacs de courses posés devant eux. Pause entre les épiceries et leurs domiciles, mais surtout prétexte à des rencontres et bavardages rituels. Un panneau lumineux affiche 27 degrés sur l'une des façades de la place. Une terrasse de café, presque désertée, s'étale en prolongement du théâtre. Les passants, rares, se glissent de recoins d'ombre en arcade fraîche. Il y a une ambiance de nonchalance étudiée, que tente vainement de briser la statue équestre du général Prim, sabre au clair en un geste impérieux, que semble dénier un visage las.
Au coin de la belle place s'ouvre la carrer San Joan, bordée d'immeubles modernistes, hommage d'architectes conquis à leur maître Gaudi, autre enfant célèbre de la cité. La proximité de l'air marin et la longue misère de la dictature franquiste ont rongé nombre de façades. La splendeur des années dix à vingt du siècle précédent disparaît sous une couche grisâtre. Malgré tout, son souvenir, plus que vivace, pose une ambiance d'indicible nostalgie. Pour le promeneur subjugué, le regard hésite sur l'endroit où se poser. Que ce soit à gauche ou à droite de la chaussée, les belles maisons se disputent l'espace, leur beauté rehaussée par de rares demeures aux lignes plus quelconques. Ici aussi le soleil éclabousse généreusement la longue rue presque rectiligne. A intervalles réguliers s'ouvrent des ruelles plongées, elles, dans la pénombre. Elles sont juste assez larges pour laisser passer les camionnettes de livreurs qui ravitaillent les commerces qui s'y cachent. Empruntons en une ; de minuscules devantures béent à même la chaussée pavée. Ici, une échoppe de vêtements, là un boyau étroit encombré de cagettes de fruits et légumes où deux petits vieux discutent avec animation. Partout, des chaises devant les vitrines attendent patiemment un passant fatigué. Plus loin, une minuscule terrasse dévore toute la place disponible. Entrons pour éviter la chaleur lourde qui règne partout. A l'intérieur, la climatisation ronronne doucement, seule entorse à la modernité. Le comptoir date d'une époque certainement lointaine, les murs sont peints de couleurs vives maintenant un peu défraîchies. Une odeur, depuis longtemps enfouie dans la mémoire, flotte dans l'air. Un mélange de poisson frit, d'oignon émincé que rehausse une lointaine pointe acide de vinaigre. Le patron vous apporte une caña bien fraîche accompagnée d'une petite assiette de friture dorée. Vous dégustez lentement, essuyant vos doigts poisseux sur une de ces serviettes fines qu'on ne trouve qu'en Espagne. Substitut de madeleine plus rustique, plus prolétaire, mais tout aussi porteuse d'accents nostalgiques.
Prenons maintenant, la carrer Monterols. L'animation y est plus importante, les boutiques plus grandes. Vous retrouvez sans surprise les marques mille fois vues ailleurs. Ces marques qui de Londres à Moscou, de New-York a Djakarta font se ressembler tous les centre ville. L'artère est plus large, ignorant les voiles déployées au-dessus des passants la lumière inonde les pavés et les devantures. On aboutit rapidement sur la plaça Marcadal, entourée elle aussi de maisons aux façades modernistes. Malgré les colonnades copiant les structures du Moyen-Âge, malgré l'oriel aux meneaux chantournés, l'œil reconnaît sans difficulté l'ampleur contemporaine des ouvertures, la qualité des matériaux, le grain spécifique des volutes moulées et non sculptées à même la pierre. La rue se poursuit, semblable aux milliers de rues déjà arpentées de par le monde. Soudain, l'ouverture sur la gauche découvre les pierres nues du prioral San Pere. Le porche vous accueille dans une nef d'une grande simplicité. Comparé à d'autres églises visitées dans les environs, celle-ci est presque austère. Cependant, les chapelles qui ceignent la nef centrale sont plus rutilantes, s'abandonnent plus volontiers au charme du baroque. Dehors, la lumière brûle les yeux après la douce pénombre recueillie du monument.
Faisant le tour on emprunte d'autres ruelles exiguës qui traversent le quartier blotti contre l'église médiévale. La encore des odeurs d'ail, de piment et d'épices transportent le voyageur dans des contrées orientales. Comme dans l'antiquité ou l'époque médiévale, nous ressentons combien la présence têtue de la mer commune, loin de séparer construit un pont par-dessus les siècles et les distances. C'est dans ce coin de terre fertile que l'on restent avec plus d'acuité, combien la méditerranée mérite son nom de Mare Nostrum.
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