À peine les hautes portes rouges du
torril refermées, la centaine ou plus
de coureurs se dissémine sur le vaste espace sableux. Après avoir affronté à la
course cabestros et toros, voici le moment d’éprouver son
agilité et son courage face aux vaquillas.
À l’annonce du nom de la première vaquilla
qui vient les défier, les silhouettes se dirigent vers la porte des chiqueros. Tandis que certains, les plus
téméraires peut-être, se couchent au sol en travers de la chicane par laquelle
sortira la première taure, les autres se penchent vers l’avant, en éventail,
joignant leurs mains dans une sorte de serment. Sur les gradins la foule
retient son souffle. En un bref éclat carmin la porte pivote et la vaquilla jaillit de sa cellule obscure
vers la pleine lumière. Son corps robuste enjambe d’un saut élégant l’obstacle
de mozos couchés, se dirige vers un
des coureurs au hasard, l’évite, tourne sur lui-même comme pour évaluer qui
parmi ces formes agitées et hurlantes aura l’honneur de son assaut.
Le groupe, tout à l’heure compact,
s’est désagrégé pour entourer l’animal fougueux. Une ronde de silhouettes aux
couleurs blanc et rouge tente d’attirer l’attention de la jeune génisse. Mais
celle-ci semble désappointée, elle hésite quelques secondes tandis que des
mains la frôlent. Soudain elle se précipite sur l’un des participants qui n’a
pas le temps de s’écarter, il vole au-dessus de l’animal et se retrouve au sol.
Déjà la vaquilla s’est détournée vers
une autre cible. La course s’engage, perdue par l’homme qui se fait bousculer
et tombe sous les sabots. Pourtant, la majorité des défieurs parvient à éviter
les cornes encapuchonnées et progressivement l’animal perd de sa virulence avec
la fatigue. Déjà, un cabestro vient à
sa rescousse, accompagné d’un pastor.
La foule s’écarte pour lui permettre de sortir dignement sous les
applaudissements du public.
Pour assurer l’attrait du spectacle
les organisateurs ont affecté les bêtes en une gradation de bravoure. C’est
fort logiquement que celle qui succède fait preuve de plus de combativité et d’une
meilleure endurance que la première. Les prises sont donc plus fréquentes et
les contacts plus rudes, à la grande joie des spectateurs. De leur côté les mozos s’aguerrissent et, l’émulation
aidant, viennent davantage au contact de leur adversaire. Les chocs et vols
au-dessus de l’échine ou sous les sabots se font plus fréquents et plus
violents. Un des mozos se reçoit mal et
reste au sol, inanimé. Plusieurs camarades l’entourent aussitôt pour le
protéger d’une éventuelle charge de la vaquilla
tandis que les autres s’agitent davantage pour attirer l’attention de l’animal
et l’éloigner du blessé. L’homme, toujours inconscient, est soulevé et
transporté vers la barrière. Là, il est pris en charge par des secouristes installés
dans le callejón et conduit à l’infirmerie
de la Plaza de Toros. Fort heureusement,
il y a aussi des moments plus comiques. Il est fréquent qu’une des vaquillas attrape un des mozos par le tee-shirt ou le pantalon et
le déshabille proprement. Un grand moment de joie pour le public hilare. Et le paroxysme
est atteint, dans ce pays particulièrement machiste, s’il s’agit d’une moza en minijupe que l’animal dépouille
de ses vêtements pour l’abandonner en string sur le sable du ruedo.
Les deux dernières vaquitas sont les plus bravas. Agressives, agiles, puissantes
elles donnent du fil à retordre aux mozos
qui les défient. À peine entrées dans l’arène elles se posent frontalement aux
humains, grattant le sable fin d’un sabot suggestif. L’une d’elle s’est choisi
une victime qu’elle poursuit inlassablement, ignorant superbement les autres
gesticulateurs. Par quatre fois elle le course, le bouscule et s’acharne sur
lui au sol. Un peu plus tard un des mozos
la défie, les yeux dans les yeux. Statique, elle ne bronche pas tandis que le
garçon s’approche lentement. Il n’est plus qu’à cinquante centimètres. En une
fraction de seconde la masse de muscles s’est détendue et le jeune homme se
retrouve perché sur le front se tenant aux cornes pour éviter de tomber. L’animal
s’arrête aussi vite qu’il a démarré et voici le jeune courageux au sol.
Magnanime, consciente de lui avoir donné une bonne leçon, elle se détourne enfin.
Le public applaudit à cette belle action.
Mais ne croyez pas que le public
soit toujours aussi enthousiaste. Les sifflets, les quolibets, parfois les
injures fusent à l’adresse de celui qui transgresse les règles du combat. En
effet, il est formellement interdit de toucher la vaquilla. Pas de tape, pas de main posée entre les cornes ou sur le
dos. Cela se traduit immédiatement par quelques sifflements réprobateurs, et
des rappels à l’ordre des compañeros.
Mais parfois certains, vraisemblablement grisés par l’ambiance et le désir de
prouver une bravoure mal comprise, se permettent de tirer la queue de l’animal
ou plus grave de s’accrocher à son cou pour l’obliger à se soumettre. Là, la sanction
est immédiate : invectives du public qui hue copieusement le malappris,
interpellation par le commentateur des faenas ;
et si par hasard l’idiot recommence se sont de copieuses volées de gnons et
coups de pieds par les autres mozos
qui le sortent du ruedo. Mais les
choses ne s’arrêtent pas là, car à peine franchi le burladero, cette sorte de trouée dans la palissade qui permet aux toreros, banderilleros et peones de
passer du callejón au ruedo, deux agents de la Policia Foral l’emmènent hors de l’enceinte.
Et, aux dires du commentateur, ce n’est pas pour l’inviter à boire une caña, mais pour « lui parler du
pays ».
Pamplona 13 juillet 2018
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