Ce qui frappe d’emblée le nouveau
venu aux fêtes de la San Fermín c’est la densité de la foule qui se presse dans
les rues du Casco Viejo : la
vieille ville de Pamplona. Bien sûr, ces rues, qui datent pour certaines du
Moyen-Âge, sont étroites ; mais voir les silhouettes tout de blanc vêtues
avec leurs foulards et ceintures rouges se presser les unes contre les autres
en une masse impossible à percer a quelque chose d’incroyable. Il s’agit pour
chacun de se glisser dans ce flot qui stagne par endroits, tandis que
fréquemment deux courants contradictoires le traversent. La difficulté étant
d’arriver jusqu’au flux se dirigeant dans la direction souhaitée. Alors,
matériellement solidaire de cette mini foule mobile dans la grande foule étale,
il suffit de se laisser porter jusqu’au but convoité. Enfin presque ! Car,
arriver à ce but ne clôt pas l’épisode problématique. En effet, il s’agit alors
de pouvoir traverser un ensemble de corps obstruant le passage jusqu’au lieu
précis. S’il s’agit d’un bar où se désaltérer, d’un restaurant affichant des bocadillos ou raciones, le festoyeur se rend vite compte qu’une innombrable
quantité d’autres hôtes festifs s’interposent entre lui et les denrées qui
sauveraient sa vie. On l’aura compris à Pamplona subvenir aux besoins
fondamentaux de tout être humain revêt durant cette période la dimension d’un
des fameux travaux d’Hercules.
Comme le lecteur l’imagine
vraisemblablement, le second sujet d’étonnement est le brouhaha assourdissant
qui plane sur cette partie de la ville, à tel point qu’une incursion sur les larges
avenues de la cité contemporaine quelques centaines de mètres plus loin, plonge
le visiteur dans une ambiance d’apaisement auditif malgré le trafic intense qui
s’y déroule. C’est que ces dizaines de milliers de badauds non seulement
parlent fort, rient et s’invectivent comme le font tous les espagnols dès
qu’ils sont en groupe, mais que se mêlent à ce premier bruit de fond les
accents musicaux des bandas aux
cuivres et tambours puissants, les notes aigres des gaitas (flûtes de roseaux traditionnelles au pays basque) et les
claquements secs et tintinnabulants des tamboriles
devant la porte d’une des innombrables peñas
(associations aux buts multiples : religieux, sociaux, professionnels,
dont le point commun est la rencontre festive de ses membres), sans oublier,
de-ci de-là, les groupes de choristes interprétant des chants traditionnels,
aux tonalités nostalgiques, où alternent les voix de femme haut perchées et le
vibrato caractéristique des voix d’homme au registre hésitant entre ténor léger
et voix de fausset et dont les démonstrations vocales s’achèvent sous les
applaudissements nourris des auditeurs avertis.
Ensuite, il y a une troisième
découverte qui déconcerte le nouveau venu à la Feria de San Fermín : c’est la permanence des activités
festives. En effet, le visiteur étranger constate qu’entre le Chupinazo, manifestation qui lance les
festivités le 6 juillet à midi tapant et le Pobre
de mí qui les clôt le 14 juillet à minuit l’intensité ne baisse
pratiquement pas. Ainsi, jour et nuit les rues du Casco Viejo accueillent une foule ininterrompue, dansant, chantant,
bavardant, buvant et mangeant quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Et
même si la fatigue aidant certains se retirent vers les hôtels pour dormir
quelques brèves heures, ceux qui restent sont encore si nombreux que pour le
voyageur lambda il y a foule comme en pleine période diurne n’importe où
ailleurs dans le monde. Voilà pourquoi, pour le visiteur raisonnable quitter
l’hôtel à six heures du matin le fait plonger dans une foule festive et déjà
nourrie. Même la pluie, parfois au rendez-vous ne parvient pas à vider les
rues, venelles et places des milliers de personnes qui s’y déploient. Certes,
trois millions de personnes dans une ville de deux cent mille âmes ça ne passe
pas inaperçu.
Il y a encore un quatrième sujet d’étonnement
qui s’immisce peu à peu dans la conscience du chaland, c’est l’odeur flottant
sur le Casco Viejo. Un mélange d’essences
musquées ou poivrées, d’épices enivrantes, auxquelles se mêlent les arômes
caramélisés de viande grillée sur les énormes barbecues qui trônent au milieu
des places ou des casetas qui
constellent le Parque de la Taconera
et les senteurs plus lourdes de la multitude de fritures diverses qui s’offrent
au nomade affamé.
Enfin, cinquième point malgré cette
promiscuité et la folie qui l’accompagne la vieille ville reste d’une propreté
remarquable. Certes, les festivaliers sèment à tout va, quoique la majorité
d’entre eux soient suffisamment disciplinés pour déposer leurs emballages,
canettes et verres dans les centaines de conteneurs qui quadrillent la ville et
les parcs, mais les agents municipaux passent et repassent au gré des mouvements
de foule qui diminuent la pression sur tel ou tel quartier, Sysiphes
imperturbables face à l’amoncellement de détritus de toute nature. Rapidement
l’endroit retrouve son lustre ; bien entendu pour peu de temps.
Mais il n’y a pas que les bars et
échoppes qui attirent la foule. Un peu avant la mi-journée, devant la Plaza Consistorial où se dresse la
magnifique façade Renaissance de l’hôtel de ville se presse une foule aux
aguets. Petits groupes familiaux errant sur la place, individus perchés sur les
barrières de l’Encierro désormais
ouvertes, musiciens s’essayant aux percussions sur des troncs sciés, tout ce
petit monde est en attente d’on ne sait quoi. Soudain les sonorités
caractéristiques des gaítas et des tamboriles résonnent en provenance de la
Calle Nueva, précédant de grandes
figures de carton-pâte richement vêtues. Ce sont d’abord les Géants qui
arrivent d’un pas chaloupé par couple. Ils sont huit représentant les quatre
continents (Europe, Asie, Afrique et Amérique). Quatre rois accompagnés chacun
de sa reine et qu’escortent cinq Cabezudos
(Grosses têtes) solennels. Autour d’eux virevoltent six masques grotesques et
sinistres : les Kilikis,
flanqués de six cavaliers vengeurs les Zaldikos.
Cette douzaine de personnages arrose les enfants (pas sages ?) de coups de
vergas (sortes de baudruches tenues
au bout d’une lanière) bien sentis. La procession avance dans une chorégraphie
de pas en avant et de retour en arrière. Elle s’immobilise sur la place, le
silence retombe. Ou du moins la musique cesse ne laissant place qu’au brouhaha
des conversations et des cris des enfants effrayés par les Kilikis et Zaldikos. Puis
les flûtes et petits tambours reprennent, les géants s’animent en une danse
étonnante qui coupe la respiration des spectateurs. Les autres figures leur
emboîtent le pas. La danse s’achève enfin sous les applaudissements d’un public
conquis. Une légère pause et voici que le cortège se glisse par la Calle Mercaderes pour remonter plus tard
la Calle Estafeta. Ensuite la
compagnie finira sa procession dans un beau palais faisant face à la Cathédrale
où le public pourra les admirer avant qu’ils ne rejoignent le soir venu leur
point de départ avant la procession de la journée suivante.
Pamplona du 12 au 14 juillet.
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