La veille les services météorologique avaient annoncé de la neige, pourtant au réveil le bleu du ciel le disputait à quelques nuages bas. L'air frais, lui-même, laissait percer une légère note de tiédeur inattendue. L'autoroute était peu fréquentée. Dame ! Un dimanche matin d'hiver aux aurores les gens normaux sont encore au lit. Les rues de Lunéville sont désertes. Quelques quidam matinaux patientent à la porte du Monoprix encore fermé. De l'autre côté de la place Léopold règne une activité anormale. Des voitures s'arrêtent, les conducteurs se saisissent de cartons dans les coffres avant de s'engouffrer sous un porche monumental. Puis, quelques minutes plus tard ils en ressortent avant de s'échapper rapidement vers le parking voisin. Si vous êtes curieux, vous constaterez qu'après le porche un escalier monumental vous accueille, les marches bordées de part et d'autre par de nombreux portraits. L'empruntant vous arriverez au premier étage où le grand salon d'honneur se pare de longues tables tendues de bleu ou de rouge.
Là, les organisateurs vous prennent en charge chaleureusement pour vous diriger vers l'emplacement surmonté de votre photo. Alors, fébrilement, vous déballez vos ouvrages, tentant avec plus ou moins de bonheur de les mettre en valeur. Rapidement, vous voilà entouré d'autres personnages aussi impressionnés que vous. Parce que vous êtes arrivé tôt, vous trompez l'attente des premiers visiteurs en entamant la conversation avec ces voisins immédiats. Mais, vous pouvez aussi rejoindre le bar où une organisatrice vous propose aimablement du café ou du thé, accompagné de viennoiseries au fumet alléchant. Là encore, d'autres inconnus, en majorité aussi intimidés que vous, entament la conversation comme un rituel immuable destiné à briser la solitude réciproque. L'heure tourne, la grande galerie se prépare pour les premiers visiteurs qui ne vont pas tarder à arpenter les allées désormais bruyantes.
Ce matin-là il y a moins de monde que d'habitude. Cependant, les chalands sont plus curieux et rapidement les apartés se concluent en signatures, au grand dam de mes deux voisins immédiats. Comme souvent, le public arrive par vagues. Telle une marée terrestre il glisse entre les tables, en groupes denses dont le sillage se raréfie. Ces masses compactes tournent d'une travée à l'autre, avançant plus ou moins vite. Parfois, un ressac soudain produit une petite cohue, quand deux ou trois individus, captés par une couverture ou un titre s'arrêtent, reviennent en arrière pour mieux voir. Sinon, cette marée abandonne chemin faisant une laisse composée de quelques personnages qui se fixent à une table pour longuement admirer, soupeser, caresser des livres qui les ont attirés.
Autre rituel se déroulant presqu'en fin de matinée : la visite des officiels. Benoit, le président du Cercle Léopold organisateur du salon, accompagne maire, président de communauté de communes et sous-préfète d'un auteur a l'autre pour bien détailler les mérites de chacun. Poignées de main protocolaires, sourires de circonstances et, parfois ici ou là, l'éclat inattendu d'une rencontre dans les yeux de l'un ou l'autre des officiels. Complicité face à un titre, étonnement d'une couverture ou simplement sympathie spontanée que soulignent la poignée de main qui se prolonge, le regard rieur qui s'attarde.
Après le repas, retour à la table de signature. Là, c'est plus calme. Les seules personnes qui errent dans les allées du Salon sont des auteurs qui ont déjeuné et font preuve de curiosité vis-à-vis d'autres confrères. Par la haute fenêtre dans mon dos quelques rayons de soleil paresseux viennent se poser sur mon épaule. La douceur ambiante et la digestion me plongent dans une somnolence béate. C'est l'heure de la sieste, yeux ouverts mon esprit erre bercé par le bavardage primesautier de Nicole ma voisine et d'Isabelle à ses côtés.
Soudain, le niveau sonore monte un peu, troublant ma sieste. Voici venir les visiteurs de l'après midi. Lentement une foule bruyante envahit les allées. Certains passent en trombe, tandis que d'autres prennent le temps de s'arrêter pour parler avec les auteurs. Quelques enfants s'approchent, curieux, fixant avec perplexité le Maine-Coon en couverture d'un roman. La foule est un peu plus dense que le matin, cependant de grands vides dépeuplent l'espace à certains moments.
La journée touche à sa fin. Peu à peu l'affluence se raréfie, le ciel s'assombrit graduellement. La nuit ne va pas tarder à tomber. Les grands lustres jettent une lumière jaune dans le vaste salon. Quelques exposants plient déjà bagage, tandis qu'une légère fébrilité s'empare de l'assistance restante. Ce sera bientôt l'heure de la proclamation des prix. Nous nous regardons supputant les chances des uns et des autres d'être l'heureux lauréat. Le président bat le rappel, la troupe des bénévoles sans qui cette manifestation ne pourrait se tenir se presse sur la petite scène. Discours officiels, remerciements aux une et aux autres. La traditionnelle litanie s'égrène lentement. Ici ou là, des auteurs cachent mal leur nervosité par de fréquents changements de posture. Voici enfin l'annonce des résultats des délibérations : Prix de la ville de Lunéville à Marie-France Beitscher, Prix de la Médiathèque de l'Orangerie à Pierre Stolze, Prix Leopold du roman policier à l'auteur de ces lignes. D'abord l'étonnement, ensuite la joie immense de voir reconnaître le travail de cette année littéraire, enfin la fierté d'être distingué parmi les nombreux auteurs talentueux présents.
La journée s'achève sur le vague souvenir du pot de clôture, tout emmêlé de sentiments confus. Juste cette impression de cohue sympathique autour des trois auteurs primés, et le bonheur partagé avec d'autres auteurs concurrents ou non d'un moment clé dans sa vie. Je quitte enfin cette assemblée joyeuse avec la conscience aiguë que ce prix n'est pas un aboutissement, mais le signe qu'il me faut redoubler de travail et de rigueur pour ne pas cesser d'en être digne.